mercredi, mars 15, 2006

Gingérols de gingembre

Aujourd'hui, mercredi 14h40, la télé diffuse un spot de pub pour Garnier ultra lift aux ginrérols de gingembre, dermo-décrispants. On ne dira jamais assez l'importance de la poésie dans la communication de marque.

mardi, mars 14, 2006

Les limites de la peinture (suite)

Voici un petit livre qui vient compléter ce qui a déjà été dit plus bas sur le cadre. Le cadre est analysé par Simmel non pas seulement comme ce qui fait du tableau une "île dans le monde", mais ausi comme ce qui assure son unité.
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Simmel analyse le fonctionnement du cadre, qui aide à renfermer le tableau sur lui même, par ses arbesques, jointures, mouvements centripètes qui ramènent le regard vers le centre du tableau et dont les moulures créent un champ de force qui sépare radicalement l'oeuvre du monde extérieur.
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Mais lorsque le cadre fait l'objet d'une attention trop grande, qu'il devient lui-même objet de contemplation, pour la virtuosité de ses ornements décoratifs, il cesse alors d'être secondaire par rapport au tableau, et cese de focntionner comme cadre. Il devient oeuvre pour lui-même, ce qui témogne selon l'auteur d'une profonde méprise de la hiérarchie des choses.
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Aussi le cadre est-il un équilibre précaire d'effacement et de présence, "d'énergie et de retenue si, dans la sphère du visible, il doit servir d'intermédiaire entre l'oeuvre d'art et son milieu, que tout à la fois il relie et sépare".
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On gardera un bon souvenir du texte sur l'esthétique de la pesanteur : "Chez Michel Ange, nous sentons tous les corps lutter contre une pression, une formidable pesanteur les tire vers le bas (...) Cette lutte s'est immobilisée au moment précis où les deux forces ont atteint leur déploiement extrême. Dès lors que cet équilibre, qu'avec un art inouï il était parvenu à maintenir, s'est rompu pour devenir chancelant, dès lors qu'on (...) a cru pouvoir exprimer plus pleinement la liberté de l'âme (...) en négligeant tout simplement la pesanteur, le style de Michel Ange a dérapé vers le baroque". Une suite de 5 essais denses et stimulants. (Le promeneur, 13.50 €)

jeudi, mars 09, 2006

Règles pour la direction du peintre

Le petit livre d'Alberti est un discours de la méthode avant l'heure.
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Alberti ne parle pas de peinture en terme de talent, de savoir faire, de "je ne sais quoi" du peintre. Ou plutôt avant d'en parler en ces termes, il n'est partout question que de règles, de procédés, de méthodes. Peu importe si le rayon visuel sort de l'oeil ou de l'objet : l'important consiste à comprendre son fonctionnement. Newton plus tard se désintéressera lui aussi des causes du mouvements des planètes et de l'attraction, il en édictera simplement les règles.
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Alberti traite d'abord de la méthode pour construire le lieu de la peinture, et pose les bases d'une construction géométrique de l'espace, valables aussi bien pour le néophyte que pour l'homme de génie. Règles de formation pour le peintre, règles de jugement pour le spectateur.
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Il donne ensuite les règles de la composition, pour remplir cette espace : combien de personnages, comment les disposer, les règles de la vraisemblance, les types de mouvement, l'abondance, la variété, l'imitation et le rendu exact de la nature (je m'étonne qu'Alberti recommande à la fois ne n'imiter que ce qu'on voit comme on le voit, et invite en même temps à peindre le visage du Dieu Zéphir en un coin du tableau pour animer les objets inertes : branchages, cheveux, etc.).
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Au livre III, il donne enfin les règles de formation du peintre, qui doit être un homme complet, versé dans toutes les sciences libérales. L'ensemble est d 'ailleurs précédé d'une superbe introduction sur la stratégie du traité, qui vie à ériger la peinture - art mécanique vulgaire - en art libéral, et même en écriture, comme une lanue dont il faut maîtriser la grammaire. Le but du peintre est de raconter une histoire et de convaincre, comme le rhéteur ou le poète, et se servant plus des outils du géomètre que de l'ouvrier.
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Certaines allusions laissent d'ailleurs penser qu'Alberti confie aux peintres le soin de prendre la relève des rhéteur et poètes médiocres de son temps. Cet idéal de noblesse et de dignité en peinture me rappelle le bel autoportrait de Rembrandt, à la National Gallery de Londres, où l'on décèle une même ambition identique.
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L'ouvrage se termine sur l'invitation à parfaire l'oeuvre, et la conscience claire de l'idée de progrès : "Rien, dit-on, n'a pu en même temps naître et être parfait. Ceux qui viendront après nous, s'il en est qui nous dépassent par leur effort et leur talent, pourront peut-être mener l'art de la peinture à son absolue perfection." Autant d'éléments qui font de cet ouvrage l'une des déclaration inaugurales de la modernité.

vendredi, mars 03, 2006

Bonnard et les limites de la peinture

La récente exposition Bonnard (Musée d'art Moderne de la ville de Paris, février 2006) offre l'amorce d'une réflexion sur la fonction du cadre, et le jeu du peintre avec les limites ou les bords du panneau peint.
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Le cadre peut prendre plusieurs sens, et revêt plusieur fonctions. Le cadre d'un tableau sert d'abord à isoler le panneau peint de l'espace qui l'entoure, et désigne la surface encadrée comme un espace tout à fait "autre", d'une nature différente de la pièce ou du mur où elle est posée. Il y a une différence entre l'espace du tableau, diégétique, et l'espace du spectateur, qui regarde la toile dans un musée. Comme le souligne Baudelaire dans son poème du même nom : "un beau cadre ajoute à la peinture / (...) Je ne sais quoi d'étrange et d'enchanté / En l'isolant de l'immense nature".
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Mais il faut aussi compter avec les dimensions de la toile qui sont une limite naturelle au panneau, et avec le cadrage choisi par le peintre, qui organise la scène ou l'image que présentée. Le peintre a choisi de monter certaines choses plutôt que d'autres, et le cadrage délimite le champ de ce qui est visible et de ce qu'on ne voit pas, de ce qui est laissé hors champ.
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Il semble que Bonnard se soit servi des effets de cadrage pour remettre en cause (i) la distinction des espaces, mais aussi (ii) la démarcation entre le visible et l'invisible, entre ce qui est représenté dans le champ et ce qui se tient au dehors.
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Par exemple, Bonnard peint une fenêtre, une porte, un miroir. En peignant un deuxième cadre fictif à l'intérieur du cadre réel, le peintre met en abime sur la toile la relation du spectateur au tableau, et brouille la distinction de l'espace spectatoriel et de l'espace diégétique. Il suggère au spectateur qu'il se tient non plus "devant" la toile, mais près de la table devant la fenêtre, c'est-à-dire "dans" le tableau. Le tableau représente le seuil d'accès à un autre tableau et fait comme si le spectateur pouvait y pénétrer (Grande salle à manger sur le jardin, Guggenheim NY)
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Mais le peintre remet aussi en cause la démarcation entre ce qui est représenté et ce qui se tient "hors champ", entre le visible et l'invisible. Ce que l'on voit dans la toile renvoie à quelque chose qui se tient au dehors d'elle. Elle nous invite à pénéter un espèce qui nous décentre aussitôt sur le dehors (fenêtre ouverte sur l'extérieur, reflet dans un miroir, etc.)
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L'autoportait dans la glace du cabinet de toilette (Mnam - Centre Pompidou) construit la fiction d'un reflet qui renvoie au personnage situé hors champ (le peintre lui-même). Le cadrage fait comme si c'était le spectateur lui-même qui se tenait devant la glace, et joue sur la substition des espaces, un peu à la manière des Ménines de Velazquez. Dans la Cheminée (Collection particulière), la multiplication des miroirs diffracte l'image du modèle, mais en effaçant le reflet du peintre qui devrait aussi logiquement s'y trouver.
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En multipliant les reflets, les renvois, les jeux de miroir, les déplacements et les recadrages, le peintre nous invite à pénétrer un espace déserté où l'on a paradoxalement du mal à rendre compte de ce que l'on voit, où l'on a du mal à se situer, à distinguer le reflet de l'original. On voit ce que l'on ne devrait pas voir et qui se tient hors champ, on ne voit pas ce que l'on devrait voir.
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Il y a là quelque chose comme l'étonnement décrit par Raphaël Lellouche devant la télévision : "écartelé entre mes deux présences, entre ma présence physique et ma présence cognitive, où suis-je réellement ?"

Par ce jeu permanent de telescopages des espaces, de diffraction permanente, de reflets sauvages, les bases du visible sont moins assurées, moins tangibles, et la position du spectateur vacille un peu. Bientôt c'est le modèle lui-même qui subit la réfraction du visible, et finit par se dissoudre dans les reflets du bain, fragmenté par le miroitement des dalles de carrelage, jusqu'à se fondre preque totalement dans le décor (Nu dans le bain au petit chien, Pittsburg, Carnegie Museum of art).

Le bauhaus

Un petit livre très stimulant sur les conceptions architecturales et artistiques du Bauhaus, par Walter Gropius, inventeur du mouvement.
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Le problème de Gropius est assez simple : au début du 20ème siècle, les imépratifs du logement de masse ont mis de coté la dimension artisitique de l'architecture. On construit beaucoup, rapidement, pas cher. L'art, la technique, la production, qui étaient trois stades du travail de l'artisant, ont été dispersés par la division sociale du travail, et la spécialisation des corps de métier. L'art est désormais jugé superflu et secondaire, ravalé au rang d'un ornement final, que l'on rajoute après coup dans les bâtiments achevés destinés avant tout à être fonctionnels, qui arborent de manière superficielle un vague style rococco ou renaissance badigonné à la hâte sur les façades, les portiques..
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Cette opposition stérile entre l'art et le pratique nuit à l'art et compromet la praticité des objets. Au temps de capitalisme industriel, l'art n'est pas un investissement superflu, il revêt au contraire une importance déterminante pour la société et l'économie : mieux conçus, les bâtiments se vendent mieux, durent plus longtemps, les gens y vivent mieux, dans des pièces plus aérées, plus éclairées. Les bâtiments en hauteur permettent de loger un plus grand nombre de gens à proximité des villes, et de diminuer les temps et les coûts de trajets. Ils permettent aussi de multiplier les espaces verts. L'art est au service de l'habitat démocratique.
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L'art doit être remis à sa juste place : non pas un ornement a posteriori, mais une visée initiale, au stade de la conception. Le but de l'architecte est de concevoir des prototypes, des modules de bâtiments qu'on pourra ensuite agencer comme on voudra, et dont on pourra amortir le coût de conception par la production en masse. Rien ne justifie que chacun ait une maison absolument différente de celle du voison : il peut choisir parmi une liste limitée de modèles, comme il le fait pour les chaussures, les voitures, les vêtements, sans remettre en cause sa personnalité. La diversité des combinaisons possibles permet déviter l'uniformisation de l'habitat.
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Un mot n'apparaît pas dans le texte de Gropius, mais il est déjà tout entier compris entre les lignes de la théorie : c'est le design, dont on comprend aussi mieux la genèse. L'art est un dessein, il intervient au stade de la conception. Chez Gropius, l'artiste détermine la forme la mieux adaptée à l'usage d'un objet. A cette exigence premère, le design contemporain en ajoute une autre : exprimer dans des objets reproduits en série l'image de la marque qui les fabrique (quitte à faire perdre de vue l'usage, ou à questionner l'utilisateur sur l'usage possible d'un objet a première vue bizaroïde).
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Un autre regard sur "l'art à l'époque de sa reproductibilité technique". Architecture et société, par Walter Gropius, Editions du linteau, 1995.