Une exploration fascinante de notre rapport à la nourriture et des imaginaires associés à la bouffe. Par Claude Fischler, spécialiste de la discipline.

Les trois points-clés du mangeur
Dans l'Homnivore, Claude Fishler identifie (au moins) trois problèmes clés qui aident à structurer notre rapport à la nourriture :
1) D'abord, nous sommes omnivores : contrairement au Koala, qui peut trouver tous les nutriments dont il a besoin dans une seule plante (eucalyptus), l'homme doit varier son alimentation. D'un côté c'est une liberté et une force (car il est possible de se reporter sur un aliment lorsqu'un autre fait défaut), mais d'un autre côté c'est un problème, car le risque est plus grand d'ingérer des poisons et l'exploration alimentaire peut être dangereuse : par conséquent, l'omnivore se montre toujours très prudent avant d'intégrer tout nouvel aliment à son régime. De là l'importance cruciale de l'éducation alimentaire, et les difficultés à changer nos habitudes une fois établies.
2) Ensuite, l'alimentation est une incorporation : on ne réalise pas toujours que manger consiste en réalité à mettre à l'intérieur de son corps des choses dont nous ignorons la plupart du temps à peu près tout et en premier lieu d'où elles viennent (la plupart du temps, on préfère même ne pas y penser : à la cantine, au restaurant, et même chez soi). Bien que ce soit un acte quotidien, ce n'est pas un acte anodin. Il est donc normal qu'il ait suscité pas mal de de projection imaginaires et les expressions du type : t'as bouffé du lion, du cheval, etc. Le mangeur imagine facilement qu'il ingurgite non seulement les qualités nutritives, mais également "l'esprit" de l'animal ou des plantes qu'il incorpore. C'est le principe de contagion.
3) Enfin, l'alimentation est une affaire d'identité, une question de frontière entre soi et le non-soi. Le régime alimentaire définit Sur ce point, l'alimentation a quelques traits communs avec la sexualité : de même que l'on ne couche ni avec les individus considérés comme très proches (père, mère, frère ou soeur) ou très lointains (les inconnus), on ne mange ni les aliments trop "lointains" (les insectes) ni les aliments trop proches (l'animal domestique), bien que la frontière du proche et du lointain puisse varier selon les cultures (l'interdit du porc en est un exemple, et certaines tribus amazoniennes se régalent de serpents ou d'insectes). De là aussi tous les artifices mis en oeuvre à l'égard de la viande, issue d'un animal vivant (et en cela très proche de nous), et dont on s'efforce de faire oublier par toute une série de procédés l'origine naturelle (tabou sur les abattoirs, exigences spécifiques de cuisson, etc).

Claude Fischler, L'homnivore, Odile Jacob
Claude Fishler et Estelle Masson, Manger, Français, européens et Américains face à l'alimentation, Odile Jacob
1 commentaire:
Bonjour,
C'est une synthèse intéressante de l'ouvrage de C. Fishler. Je devrai le lire car je parle du rapport à la cuisine chinoise des professeurs de chinois non natifs (professeurs français qui enseignent le chinois en France). Je fais une thèse portant sur ce groupe.
Cordialement,
Changying (INALCO & univ de La Rochelle)
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