L'exposition organisée par Jean Nouvel consacrée à l'artiste César à la fondation Cartier pour l'art contemporain est une belle occasion de découvrir les oeuvres d'un artiste dont beaucoup ne connaissent que le nom et l'associent au moins autant au cinéma qu'à la sculpture.
C'est pourtant bien de sculpture qu'il s'agit ici, et de la meilleure qui soit. Les choix de Nouvel mettent en avant deux grands thèmes essentiels : au rez de chaussée la série des expansions et des agrandissements ; au sous-sol les fameuses compressions. Le parcours de l'exposition oscille ainsi au rythme de la dilatation / contraction de la matière. En guise de contrepoint, ou d'éclairage complémentaire, quelques sculptures issues du bestiaire (des animaux type scorpions, poules fabriquées à base de vieux débris métalliques) et dans le jardin, une impressionnante masse de ballots de journaux compressés.
Les compressions exposées au sous-sol constituent le point fort de l'exposition. Fasciné par les dépôts de ferraille de la banlieue parisienne et par la découverte de la presse hydraulique, César compresse les voitures et les réduit en cubes. D'un simple point de vue thématique, on y voit déjà l'intérêt pour le déchet, le rebut, déjà évoqué ici, et la mutilation de l'automobile comme une icône de la société de consommation urbaine. C'est presque à première vue de l'anti-sculpture, une entreprise de destruction du travail de ces sculpteurs des temps modernes que sont les désigners automobiles et des lignes souples et inventives de leurs bolides. En y réfléchissant, ces compressions de bagnoles (suite milanaise, championnes) sont même pour ainsi dire des rebuts de rebuts, des rebuts "au carré" : voitures usagées envoyées à la casse, détruites, elles sont ensuite comme ingérées, digérées puis rejetées par la broyeuse qui les vomit comme une sorte de déjection industrielle.
Mais il y a beaucoup plus. D'un point de vue formel, les compressions apportent véritablement un nouveau regard sur la sculpture.
L'art classique nous a habitué à considérer la sculpture comme la mise en forme extérieure d'un bloc de pierre. Le métier d'un sculpteur comme Michel ange consiste à retirer de la matière jusqu'à obtenir un volume dont la forme saisit l'oeil. Les sculptures d'assemblage façon Picasso, ou les sculptures de potier façon Rodin enrichissent la gestuelle initiale ; dans ces cas-là on ajoute, on construit. Mais dans tous les cas, comme Michel Ange dit quelque part à propos de ces esclaves, les formes "émergent" de la matière et apparaissent à la surface du volume.
Avec ses compressions, César réalise précisément l'inverse. Car la forme extérieure de ces compressions est toujours la même : c'est un monolithe parallépipèdique dont les dimensions sont rigoureusement calibrées par le gabarit de la machine. L'essentiel n'est pas à la surface, mais à l'intérieur, dans les replis de la matière compactées, et le regard se perd dans les dédales des tunnels secrets et recoins obscurs formés par le froissement de la tôle et le compactage des éléments. L'examen de ces configurations chaque fois différentes, sous des abords à première vue identiques, a quelque chose de réellement fascinatoire. S'y ajoute ensuite un travail sur la couleur, ou le choix d'un titre pour l'oeuvre.
De ce point de vue, il est relativement étrange que l'essentiel des commentaires (y compris dans le catalogue) s'empressent de rappeler la démarche active de César sur ces productions, choisissant les matériaux, vieillant au rendu final des compactages. Comme si l'on avait peur que l'artiste soit accusé de "laisser faire la machine", comme s'il lui fallait s'excuser de ne plus travailler uniquement avec ses mains. Outre que l'on a jamais demandé de tels compte à Andy Wharol qui revendiquait comme une fierté de laisser ses assistants travailler à sa place, cette façon de "défendre" César me semble une façon de trivialiser sa démarche.
Au fil des oeuvres, on voit César explorer les éléments clés de la sculpture, les formes, les matières, les gestes (les expansions en mousse de polyuréthane sont particulièrement intéressantes de ce point de vue : ici le geste consiste non pas à tailler ou polir ou graver, mais à verser et contrôler l'écoulement d'une matière que se solidifie au fur et à mesure).
On ressort de cette exposition avec la conviction d'avoir (re)découvert un artiste intensément conceptuel, réfléchi, dont les idées s'incarnent néanmoins dans des oeuvres puissamment matérielles, qui parlent aux sens. Ce n'est pas le moindre des mérites de la sélection de Jean Nouvel, qu'on peut remercier de rendre un si bel hommage à celui qui fut son ami.
César, Une anthologie par Jean Nouvel, Fondation Cartier pour l'art contemporain
Photo site de la Fondation Cartier
vendredi, août 29, 2008
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