Retour sur le thème classique de l'empreinte et du langage, des effets esthétiques qui émanent des signes lorsque le sens est parti.
On ne compte pas les expositions et les publications autour du thème de l'empreinte, de la trace souvent accompagnées de méditations ampoulées sur le temps qui passe et la rémanence du geste. L'exposition de l'espace Louis Vuitton a le mérite d'aborder cette question avec rigueur, et déploie un propos riche et fin, servi par quelques artistes immenses, parmi lesquels Joseph Kosuth, Sun7, ou Ernesto Neto.
L'exposition "écritures silencieuses" explore effectivement les différentes façons, pour une écriture, d'être silencieuse. Il y a des silences contraints, choisis, des silences qui naissent de la crainte de parler, de l'impossibilité de dire, de l'oubli. La pièce qui ouvre l'exposition est un exemple d'écriture indéchiffrable : trois tablettes d’écritures Rongo Rongo de l'Île de Pâques réalisées sans doute pour des cérémonies religieuses et conservées au musée du Vatican depuis 1925. Le visiteur ne peut qu'en apprécier la matérialité, les formes abstraites comme des petits dessins alignés qui sont animés par une intention dont on n'a pas encore perçé le secret.
Il y a aussi les écritures que l'on a volontairement cryptées, par souci de confidentialité. C'est le cas des courriers secret défense des avocats des prisonniers de Guantanamo présentés par Jenny Holzer : il suffit que quelques mots soient ôtés ou masqués, pour que l'ensemble d'un texte tombe dans le mutisme, et soit dégradé à l'état d'empilement de signes sans signification. Autre forme de silence, non plus imposé par l'histoire et le passage du temps (l'empreinte) mais sciemment et consciencieusement aménagé par le droit et la réglementation (illustration Jenny Holzer / Galerie Yvon Lambert).
Il y a des écritures qui restent silencieuses car l'amoncellement même des choses à lire, la multiplicité des langages potentiels et l'impossibilité où nous sommes de les maitriser tous décourage par avance l'entreprise de lecture. Le silence n'est pas absolu, il est relatif : il dépend du moment, de chacun. Les écritures musicales, le slivres fermés sont sur le point de parler, on sent qu'elles pourraient être débaillonées mais restent silencieuses pour nous qui ne les comrpenons pas ou ne faisons pas l'effort de les lire. C'est le cas de ces bibliothèques avec tous ces livres bien rangés, alignés sur des étagères poussiéreuses du sol au plafond (voir les photographies de J Kosuth) ou la grande barrière de livres empilés par Ni Haifeng (illustration ci-contre). L'artiste a superposé des livres les uns sur les autres, jusqu'à former un mur dont on ne voit d'abord que les tranches de titre. Sur le revers, une main aligne des écritures algébriques comme autant de signes cabalistiques incompréhensibles. Le livre imprimé sert de surface vierge pour d'autres écritures, les codes mathématiques investissent le support linguistique.
Chaque oeuvre du parcours est l'occasion d'un décalage de l'usage normal des signes, dans la tradition de la bibliothèque de Babel de Borgès ou de degré zéro de l'écriture de Roland Barthes, pour ne citer que le plus évident. Chaque oeuvre opère ce léger glissement par lequel une écriture que l'on croyait familière ou qui devrait l'être puisqu'il s'agit de communiquer, devient tout à coup aussi étrangère et opaque qu'une série de hiéroglyphes. Le mélange des systèmes d'écriture, l'arabe, l'algèbre, la partition musicale, montre la diversité des outils du langage humain, la part d'arbitraire au coeur de la communication et l'importance du travail de l'interprétation requis pour la compréhension la plus élémentaire.
Tout langage fonctionne sur une interprétation collective de signes abstrait qui, en eux-mêmes, ne signifient rien. Il suffit que le code manque, que les interprètes meurent, et la signification disparaît. Il ne reste qu'un système complexe de notations bizarres qui apparaissent du même coup dans oute sa matérialité : des sons, des formes, des couleurs, des régularités. L'exposition passe en revue tous ces phénomènes de dilation et de distorsions des signes et leur vie propre émancipée de leur fonction de véhicule du sens.
Les artistes se servent ici des mots et des signes comme d'une matière graphique autonome. En projetant des écritures informatiques mouvantes sur les parois d'une salle, Charles Sandison travaille sur la perception de l'écriture, qui n'est plus un code inerte mais une matière organique vivante, et n'est plus quelque chose posé face à soi que l'on devrait déchiffrer mais un milieu environnant dans lequel on baigne (illustration : Charles Sadison / Cryptozologie). Que les signes cessent d'être perçus simplement comme des empreintes ou des traces de quelque chose d'évanoui qu'il faudrait retrouver, mais comme des formes vivantes intensément expressives en elles-mêmes, voilà qui ressemble fort à une consécration.
Voir ici le site de l'expo. Sur un thème proche et l'intérêt graphique des signes dans la communication, voir également ce texte sur l'exposition Villeglé
mardi, juin 30, 2009
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