L'essentiel du discours critique sur Kandinsky porte sur la dimension théorique de son oeuvre, et notamment cette décision radicale de passer dans l'abstraction, le choix de basculer d'une peinture figurative à l'art abstrait. On a écrit des milliers de pages sur les raisons d'un telle révolution, les signes avant-coureurs, et les multiples implications de cette décision inaugurale. (Avec l'arc noir)
L'exposition de Beaubourg a le mérite de faire un pas de plus pour donner accès à la peinture proprement dite, plutôt qu'à la théorie. Il ne suffit pas en effet de répondre à la question "comment est-on passé à l'abstraction ?" mais il faut bien que l'on dise "qu'est-ce qu'on fait une fois qu'on est dedans ? " Que se passe-t-il une fois le Rubicon franchi, une fois la décision prise de passer du côté abstrait de la peinture ? C'est là qu'on découvre, non sans étonnement, l'extraordinaire richesse des formes, la diversité des motifs abstraits peints et leur évolution progressive sur des dizaines d'années, en Russie, en Allemagne, en France.
A rebours de l'intuition naïve pour qui "tous les tableaux abstraits se ressemblent", ou l'intuition fausse selon laquelle "si l'on efface l'objet, il n'y a que du vide, ou le chaos", l'oeuvre de Kandinsky témoigne de la très grande richesse graphique de l'univers abstrait. Il y a les impressions, les compositions, les improvisations. Les tableaux du début, encore imprégnés des contes populaires russes, puis les amoncellements de couleurs et d'arcs brisés, avec des tâches irrégulières. Viennent ensuite les compositions géométriques rigoureuses, l'alphabet des formes mathématiques puis les figures biomorphes, petits animaux et hiéroglyphes par où la peinture confine à l'écriture (composition VIII).
La surprise - et le choc - de cette exposition, par delà cette chance de traverser l'ensemble de l'oeuvre de Kandinsky à la faveur de prêts exceptionnels des trois plus grands musées mondiaux, relève sans nul doute de la présentation des stupéfiantes aquarelles du peintre et notamment celles de la collection d'Alexandre Kojève acquises en 2001. Elles prennent toute leur saveur considérées en pendant de l'oeuvre sur toile, dont elles sont comme un double clandestin, souterrain, que Kandinsky n'a cessé de composer en parallèle. Il y a là des illustrations de contes pour enfants, des projets de toile, de petits bijoux d'une qualité chromatique inouïe (sans titre, 1915, don de la société Kandinsky).
Ces oeuvres, qu'on a justement nommé les "peintures secrètes de Kandinsky" achèvent de mettre cette immense rétrospective au nombre des expositions qui ne s'oublient pas.
Centre Georges Pompidou, jusqu'au 10 Août. Voir comme toujours le dossier thématique réalisé par l'équipe du musée.
Pas quelquechose posé face à soi, mais un milieu dans lequel on baigne
2 commentaires:
Bonjour !
Comment s'appelle le premier tableau s'il vous plaît ? Je cherche ardemment son nom sans pouvoir mettre le doigt sur la chose.
Merci d'avance !
Avec l'arc Noir, 1912, Musée national d'art moderne, Paris.
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