lundi, octobre 01, 2007

Arcimboldo au Luxembourg

Quoi de plus réjouissant qu'un tableau d'Arcimboldo, à fortiori une exposition entièrement consacrée ? Dans Arcimboldo, il y a "archi" et ça rime avec rigolo. C'est un bon début.

Passé le premier mouvement, dépassé le regard amusé devant ce qui paraît d'abord de joyeuses trouvailles visuelles, le visiteur trouvera dans ces tableaux la mise en image d'une problématique plus grave : l'unité et la diversité, l'ordre du monde. Peut-on et comment mettre de l'ordre dans un monde où tout change, comment s'assurer que des éléments aussi disparates que des vies humaines (dans la société) et les objets de la nature "font corps", tiennent ensemble et s'agencent harmonieusement.

Les oeuvres d'Arcimboldo sont chargées de ce questionnement. Elles suggèrent la possibilité d'une issue positive, mais qui ne va pas de soi. Ici, les assemblages les plus forts visuellement sont aussi les plus précaires. Quelques oiseaux justes posés, des poissons grouillants, indisciplinés, des fruits amoncelés, en déséquilibre, forment dans l'oeil de qui les regarde, pour l'espace d'un instant, un visage, des yeux, une bouche. On se dit que la peinture est la photographie instantanée d'un agencement provisoire et merveilleux, qui ne dure qu'à la faveur d'une sorte de miracle, et qui devra bien retourner au chaos d'où il vient. Les allégories des éléments et des saisons sont des symboles de l'artiste lui-même, parvenu à joindre ensemble des éléments disparates pour en faire naître la beauté (voir, entre mille références, Georg Simmel, dans les premières lignes de Rome, Florence, Venise). Il en est bien de la poésie comme de la peinture, l'une te plaira de loin, l'autre de près. Il faut savoir ici s'éloigner et trouver la bonne place du spectateur pour saisir l'unité qui est d'abord question de point de vue.

Du coup, c'est bien au-delà même de l'art, une réflexion d'ordre scientifique sur l'harmonie du monde, sa consistence, ses règles, et la place qui nous revient d'y occuper (réfléxion humaniste de la Renaissance). Placardé aux murs des chambres des merveilles des princes Maximilien ou Rodolphe, Arcimboldo tend le miroir du souci taxinomique, reflète l'inquiétude à l'oeuvre dans les grandes entreprises de classement, la mélancolie devant des organisations à la fois nécessaires et incertaines : en dépit de toutes les encyclopédies du savoir où chaque connaissance aurait sa place assignée, il y a des objets-limites, des objets monstrueux qui résistent, ne se laissent pas mettre en case, à la frontière du végétal, de l'animal, du minéral. La nature n'est pas telle qu'on peut la classer dans un cabinet de prince, elle est un flux qui ne se laisse pas si facilement appréhender.

Toujours il faut renverser, rapprocher, s'éloigner : tout est question de point de vue et d'émergence des formes dans le mouvement. Dans ce bouillonement perpétuel, ce quasichaos dont l'Europe maniériste fête et redoute à la fois l'énergie, Arcimboldo l'ingénieux mérite amplement son titre de Vinci des Habsbourg. Il mérite sans doute aussi celui de précurseur des modernes, même si le terme est galvaudé : les surréalistes s'y sont reconnus, de mon côté j'y vois l'annonce des formes nées sur les toiles de Francis Bacon, surtout dans le tableau "Le Juriste". La déformation des corps est là (il paraît que le modèle était en outre d'une laideur extrême) mais on pourra trouver le rapprochement hasardeux. Je l'accepte.

Peut-être aussi une des caractéristiques du peintre : entre l'oeil amusé et la réflexion cultivée, y a-t-il un espace pour l'émotion spéciquement esthétique ? Je pose la question. En attendant, on se réjouit de voir pour la première fois exposé le splendide tableau "4 saisons en une tête" (New York, Collection particulière, voir Musée du Luxembourg). En revanche, pour un musée du niveau du Sénat, on s'étonnera de la maigreur de l'appareil critique disponible sur les cartels, et de la quasi absence sur les tables de livres comme celui in-dis-pen-sable de Patricia Falguières sur la Chambre des merveilles (qu'est-ce qu'ils foutent chez Bayard ??) Surtout à 11 euros l'entrée (+ 4,5 euros l'audioguide). En dehors de quelques entretiens et textes qui attestent de la réelle investigation de l'oeuvre (notamment politique), les "insights" clairs comme en dit en Marketing, ne sont pas légion, comme si l'organisation avait pensé que des nombreuses qualités d'Arcimboldo, le rigolo suffirait. On est assez loin du compte.

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