vendredi, août 29, 2008

César à la Fondation Cartier

L'exposition organisée par Jean Nouvel consacrée à l'artiste César à la fondation Cartier pour l'art contemporain est une belle occasion de découvrir les oeuvres d'un artiste dont beaucoup ne connaissent que le nom et l'associent au moins autant au cinéma qu'à la sculpture.

C'est pourtant bien de sculpture qu'il s'agit ici, et de la meilleure qui soit. Les choix de Nouvel mettent en avant deux grands thèmes essentiels : au rez de chaussée la série des expansions et des agrandissements ; au sous-sol les fameuses compressions. Le parcours de l'exposition oscille ainsi au rythme de la dilatation / contraction de la matière. En guise de contrepoint, ou d'éclairage complémentaire, quelques sculptures issues du bestiaire (des animaux type scorpions, poules fabriquées à base de vieux débris métalliques) et dans le jardin, une impressionnante masse de ballots de journaux compressés.

Les compressions exposées au sous-sol constituent le point fort de l'exposition. Fasciné par les dépôts de ferraille de la banlieue parisienne et par la découverte de la presse hydraulique, César compresse les voitures et les réduit en cubes. D'un simple point de vue thématique, on y voit déjà l'intérêt pour le déchet, le rebut, déjà évoqué ici, et la mutilation de l'automobile comme une icône de la société de consommation urbaine. C'est presque à première vue de l'anti-sculpture, une entreprise de destruction du travail de ces sculpteurs des temps modernes que sont les désigners automobiles et des lignes souples et inventives de leurs bolides. En y réfléchissant, ces compressions de bagnoles (suite milanaise, championnes) sont même pour ainsi dire des rebuts de rebuts, des rebuts "au carré" : voitures usagées envoyées à la casse, détruites, elles sont ensuite comme ingérées, digérées puis rejetées par la broyeuse qui les vomit comme une sorte de déjection industrielle.

Mais il y a beaucoup plus. D'un point de vue formel, les compressions apportent véritablement un nouveau regard sur la sculpture.

L'art classique nous a habitué à considérer la sculpture comme la mise en forme extérieure d'un bloc de pierre. Le métier d'un sculpteur comme Michel ange consiste à retirer de la matière jusqu'à obtenir un volume dont la forme saisit l'oeil. Les sculptures d'assemblage façon Picasso, ou les sculptures de potier façon Rodin enrichissent la gestuelle initiale ; dans ces cas-là on ajoute, on construit. Mais dans tous les cas, comme Michel Ange dit quelque part à propos de ces esclaves, les formes "émergent" de la matière et apparaissent à la surface du volume.

Avec ses compressions, César réalise précisément l'inverse. Car la forme extérieure de ces compressions est toujours la même : c'est un monolithe parallépipèdique dont les dimensions sont rigoureusement calibrées par le gabarit de la machine. L'essentiel n'est pas à la surface, mais à l'intérieur, dans les replis de la matière compactées, et le regard se perd dans les dédales des tunnels secrets et recoins obscurs formés par le froissement de la tôle et le compactage des éléments. L'examen de ces configurations chaque fois différentes, sous des abords à première vue identiques, a quelque chose de réellement fascinatoire. S'y ajoute ensuite un travail sur la couleur, ou le choix d'un titre pour l'oeuvre.

De ce point de vue, il est relativement étrange que l'essentiel des commentaires (y compris dans le catalogue) s'empressent de rappeler la démarche active de César sur ces productions, choisissant les matériaux, vieillant au rendu final des compactages. Comme si l'on avait peur que l'artiste soit accusé de "laisser faire la machine", comme s'il lui fallait s'excuser de ne plus travailler uniquement avec ses mains. Outre que l'on a jamais demandé de tels compte à Andy Wharol qui revendiquait comme une fierté de laisser ses assistants travailler à sa place, cette façon de "défendre" César me semble une façon de trivialiser sa démarche.

Au fil des oeuvres, on voit César explorer les éléments clés de la sculpture, les formes, les matières, les gestes (les expansions en mousse de polyuréthane sont particulièrement intéressantes de ce point de vue : ici le geste consiste non pas à tailler ou polir ou graver, mais à verser et contrôler l'écoulement d'une matière que se solidifie au fur et à mesure).

On ressort de cette exposition avec la conviction d'avoir (re)découvert un artiste intensément conceptuel, réfléchi, dont les idées s'incarnent néanmoins dans des oeuvres puissamment matérielles, qui parlent aux sens. Ce n'est pas le moindre des mérites de la sélection de Jean Nouvel, qu'on peut remercier de rendre un si bel hommage à celui qui fut son ami.

César, Une anthologie par Jean Nouvel, Fondation Cartier pour l'art contemporain
Photo site de la Fondation Cartier

mercredi, août 20, 2008

Les trois Mousquetaires / 20 ans après

Après Le Comte de Monte Cristo, l'été se poursuit avec Les trois mousquetaires, puis Vingt ans après, en attendant Le vicomte deBragelonne, dernier volet de la trilogie qu'Alexandre Dumas consacre au 17è siècle, mais plus volumineux à lui tout seul que les deux premiers réunis.

Les trois mousquetaires est le roman de cape et d'épée par excellence. On y court beaucoup, on se bat énormément, entre deux éclats de rire, quelques tapes dans le dos, des duels, des meurtres, une vengeance terrible. Il a été tant de fois imité, copié, on en trouve si souvent des éléments reproduits ailleurs, sous une forme ou sous une autre, qu'il est toujours revigorant de revenir "à la source", et de s'apercevoir tout ce que la culture ambiante doit à ce type de monument.

Je vais pas m'attarder sur l'histoire que tout le monde connaît. En gros, D'Artagnan est une jeune provincial au coeur pur, intrépide et intelligent. Il monte à Paris, fait la connaissance d'Athos, Porthos, Aramis. Les compères aident la reine à sauver son honneur contre les manigances du cardinal de Richelieu et de la terrible Milady. En toile de fond, la rivalité Louis XIII / Richelieu, le siège de la Rochelle, et puis aussi la fronde, la révolte anglaise, Cromwell et la mort de Charles Ier, la relation Mazarin / Anne d'Autriche. Pour plus d'info, voir ici, et ici aussi, ou à la rigueur par ici mais surtout lisez le bouquin.

Ce qui est plus important, c'est de regarder l'enchaînement des situations, la relation entre les personnages. Relativement inconsistant et passablement tête à claque, D'Artagnan-le provincial courageux a le mérite de fédérer les trois autres. Isolés dans leurs coins, les 4 hommes végètent dans la solitude et la médiocrité petite-bourgeoise. Réveillés à eux-mêmes par l'audace et l'initiative de d'Artagnan, les amis se transcendent et font des miracles, comme il est joliment dit au début de Vingt ans après.

Par rapport au premier qui raconte une belle histoire et de beaux sentiments, le second tome est nettement plus porté sur la psychologie des personnages, et les épreuves du temps. C'est de très loin, de mon point de vue, le plus intéressant. Plus sombre, plus subtil et plus charpenté. C'est dans Vingt ans après que l'on comprend mieux la psychologie des personnages, les raisons de leurs comportements respectifs.
  • Athos = le seigneur charismatique, de haute et vieille noblesse
  • Porthos = le bon vivant, l'ami fidèle fort comme un turc, attiré par ce qui brille
  • Aramis = le séducteur, élégant et spirituel, intellectuel
Les héros sont fatigués, ils ont vieilli, ils ont mûri. Revenus de (presque tout), les mousquetaires ils se sont heurté à l'ingratitude des grands, aux désillusions cruelles. Les uns n'ont pas eux l'avenir radieux qu'ils espéraient, les autres sentent que le monde change et qu'ils n'y ont plus tout à fait leur place. On les sent gagnés parfois par la rancune, l'amertume. Ils sont seuls. Isolés les uns des autres, les événements ont tracé pour eux des trajectoires opposés : ils sont devenus adversaires, Athos et Aramis sont frondeurs, D'Artagnan et Porthos sont au service de Mazarin (le premier espère enfin devenir Capitaine des Mousquetaires, le second aspire au titre de Baron).

Dumas a le chic pour examiner l'effet du temps sur la psychologie de ses personnages. On a déjà pu s'en apercevoir dans le Comte de Monte Cristo. Chacun a beaucoup gagné en épaisseur, en profondeur/ Le lecteur aussi. Et tandis que les trois mousquetaires pourraient passer - à tort - pour de la sous-littérature enfantine, Vingt ans après s'impose d'emblée comme une référence.

Il reste évidemment beaucoup de raisons pour ne pas lire ces fabuleux romans. C'est quand même très long (même si ça se lit d'une traite), et ce n'est pas toujours l'été. Mais on espère avoir suggéré que ce serait bien dommage.