jeudi, juillet 10, 2008

Le comte de Monte Cristo

Texte foisonnant, "page-turner" diabolique, mythe moderne, le comte de Monte-Cristo est à la fois (i) le roman de la vengeance, (ii) le roman de l'argent (iii) et la formulation d'une question-clé de son époque, sur la justice et la responsabilité : jusqu'où s'étend la responsabilité des hommes, et jusqu'où leur droit de réclamer réparation ?

D'abord quelques mots sur l'histoire, que tout le monde ou presque connaît dans ses grandes lignes. Edmond Dantès, jeune marin fiancé à la belle Mercédès, voit ses projets d'avenir anéantis par la jalousie et la cupidité de ses compagnons. Injustement calomnié (accusé de bonapartisme en pleine Restauration), il est enfermé 14 ans dans les sinistres cachots du château d'If par la faute d'un premier rival jaloux de son amour, d'un second jaloux de sa réussite, la duplicité d'un juge ambitieux craignant pour sa carrière, et la lâcheté d'un quatrième incapable de dénoncer les autres.

Aidé par un abbé compagnon d'infortune qui lui transmet avant de mourir le secret d'un colossal trésor, le jeune homme qui ne l'est plus tant que ça s'évade et revient dans le monde sous les traits d'un Comte richissime, décidé à se venger des hommes qui ont voulu sa perte, et qui ont depuis acquis position, considération, et fortune. Mais il n'est pas question d'assassinat. Il faut à Monte-Cristo un châtiment plus terrible, plus lent, comme un retournement inexorable de fortune, une succession de hasard funestes qui laisse tout le temps aux coupables de sonder au fond d'eux-mêmes les raisons des malheurs qui les frappe. Ce sera la destruction méticuleuse et progressive de tous les projets d'avenir bâtis sur les enfants, la ruine financière et morale, la honte publique qui poussent à la démence, ou au suicide. Il faut donner à ses ennemis l'illusion de se hisser très haut avant de leur retirer une à une les choses qui leur tiennent le plus à coeur.

La cabale, la fascination de l'Orient et ses poisons, la corruption de l'argent, Dumas revisite tout cela et bien plus encore, ce qu'il faut de compromissions pour s'élever dans la société au détriment des autres, les stratagèmes et les intrigues pour se faire justice sans se faire prendre. Supérieurement intelligent, enivré par la toute puissance que lui procure sa fortune, Dantès / Cristo d'abord simple et naïf gagne progressivement en épaisseur et densité, pour explorer chez lui et les autres toute la variété des sentiments humains, de la haine à la tendresse, la honte, la peur, l'hypocrisie. Exploration passionnante, que l'on a plaisir à faire avec lui.

Le personnage de Villefort est un régal. Procureur du roi, hanté par le souvenir d'un fils illégitime mort-né d'une relation adultère avec madame Danglars (épouse d'un rival de Dantès) il reconnaît son enfant sous les traits d'un accusé qu'il vient de condamner à mort, pendant qu'au même moment, chez lui, sa femme se suicide après avoir empoisonné l'ensemble de la famille (voir schéma ci-dessous). Il sombre dans la folie. Il y a véritablement quelque chose de jouissif à voir converger peu à peu les milles ramifications du plan terrible de Dantès. Tension, complexité psychologique, suspense, alliances contre-nature, morts suspectes et résurrections miraculeuses, Dumas joue toute la gamme.

Le Comte de Monte Cristo est aussi le roman de l'argent, qui permet tout et qui fascine. La libéralité du Comte vis-à-vis de ses amis n'a d'égale que sa toute puissance financière, l'accès au savoir absolu, sa capacité à manipuler le coeur des hommes corrompus et les diriger à leur insu vers une issue fatale. Le chapitre intitulé "Le Dîner" est un joli morceau de bravoure, et pour ceux que le thème de la curiosité intéresse, un must absolu.










Enfin, d'un point de vue symbolique, le roman de Dumas pose également des questions symptomatiques de l'époque post-révolutionnaire. Et c'est en ce sens, quoique de façon différente des Trois Mousquetaires ou de la Reine Margot, que le Comte de Monte Cristo est un roman historique.

1789 a rompu les déterminismes classiques, et les fils se sont affranchis des déterminismes de leur naissance, de la condition de leurs pères, et de l'hérédité du sang de la lignée. Mais dans le même temps cette liberté, en redistribuant les positions sociales, a semé la confusion, et permis aux uns de bâtir des fortunes sur le malheur des autres, plus faibles. Une injustice remplace une autre. La maxime de l'Exode, qui veut que ces fils rendent compte de la faute de leur père, jusqu'à la troisième et quatrième génération, est une référence permanente tout au long du roman.

Décidé à briser chez ses ennemis ce qu'ils ont de plus précieux, le Comte s'en prend d'abord à leurs enfants, aux projets d'avenir et de promotion sociale qui leur sont associés. Gagné un temps par le doute, il hésite finalement à faire porter sur leur progéniture le poids de son terrible projet. Ce n'est rien moins que la formulation, en filigrane certes, et sous forme métaphorique, des questions politiques et philosophiques centrales pour l'époque. Ce travail de symbolisation-là, n'est-ce pas justement le propre du travail d'artiste ?

Voir également : Les trois Mousquetaires, d'Alexandre Dumas.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Matthieu,

vous m'aviez adressé un commentaire, à propos de quelques lignes sur l'expo Vlaminck (dont vous parlez de façon bien plus pertinente).

Je trouve votre blog vraiment intéressant. (par exemple, sur la collection des "Journées qui ont fait la France", ou sur Claude Lévy-Strauss).

J'ai bien l'intention de le lire de temps en temps !