mardi, mai 15, 2007

Les ressorts cachés du désir (MC Sicard)

Marie-Claude Sicard applique la théorie du désir mimétique de René Girard au marketing : tout désir est mimétique, et finit par la violence.

Après quelques pages consacrés à l'analyse de ce que sont le besoin, le désir, l'envie (il ne faut pas le confondre : le désir est le seul moteur durable que les marque peuvent actionner), l'auteur dresse le diagnostic de la crise des marques aujourd'hui : les marques s'imitent les unes les autres, chacune lançant des "mee too" de ses concurrentes, à coup de benchmark et de cahier de tendance, jusqu'à ne plus se différencier que sur des points très mineurs.

La crise des marques est une crise d'indifférenciation, qui touche au fondement même du rôle des marques qui ont justement vocation à servir de repère et de se "démarquer". Les marques avaiet pour fonction d'organiser le désir, mais elles sont elles-mêmes entrées dans la spirale du désir mimétique, qui mène à la concurrence et à la violence (procès en plagiat, agressivité publicitaire...)

Pour sortir de cette crise, l'auteur propose non pas d'ignorer la force du désir mimétique, mais de revenir aux 3 grandes voies offertes pour organiser et canaliser ce désir mimétique universel, et lui redonner sa force première.

(i) soit proposer ouvertement des modèles idéaux à imiter (médiation externe : la marque se présente comme un guide, une autorité et offre des modèles d'identification héroïques et parfaits, très éloignés de nous, qui rechargent le désir et me suggèrent d'acheter pour devenir plus beau, plus grand, plus fort). Le métier de la marque consiste à distinguer.

(ii) soit créer des phénomènes d'adhésion collective qui donnent envie (médiation interne : la marque me suggère de faire comme tout le monde fait déjà autour de moi en créant des effets de foule : "on se lève tous pour Danette", "tous en cuir" (GAP). Le métier de la marque consiste à relier

(iii) soit flatter la fibre anticonfrmiste et faire croire aux consommateurs qu'ils sont uniques et n'ont besoin d'imiter personne ("n'écoute que toi", "deviens ce que tu es" (Lacoste), "vous êtes unique (Thomas Cook), etc.).

La sortie de crise consiste par conséquent à revenir aux fondamentaux du désir mimétique, à se ranger sous l'ne ou l'autre des formes de la mimésis, pour aider les marques à surplomber et structurer les désir des consommateurs, au lieu de tomber elles-mêmes sous le coup du désir mimétique et violent.

Avec comme toujours chez Sicard, un style enlevé, de riches et belles illustrations (Ralph Lauren et Tommy Hilfigger) et l'éternelle théorie de l'empreinte de marque, dont l'auteur propose de nouvelles applications, comme on trace de livre en livre toujours le même sillon.

La peau

Suite de lecture des livres de François Dagognet. Avec la même énergie que la dernière fois (il fallait revaloriser le déchet, le détritus), le philosophe s'attache à défendre ce qui n'a longtemps été considéré que comme une simple enveloppe ou film protecteur que l'on se devait d'arracher pour arriver au "fond", au "coeur", des choses, vers "l'intérieur" : la peau.

Non, la peau n'est pas un simple fourreau protecteur, elle est le lieu de multiples synthèses, elle est une zone de passage, de contact, fait voir ce qui se passe au dedans (les maladies de la peau sont le plus souvent des maladies du corps tout court, qui finissent ou commencent par se localiser dans la peau).

Au lieu de valoriser abusivement l'intériorité, la profondeur, il y aurait tout intérêt à opérer en physiologie le même renversement copernicien qu'en astronomie, et s'intéresser aux surfaces, périphéries et enveloppes qui nous disent sur nous-mêmes beaucoup plus qu'il y parait. Ce renversement, la nature l'a réalisé d'elle-même, en incorporant la carapace et les parois osseuses, qui protégent les protozoaïres et crustacés primitifs, du dehors vers le dedans chez les animaux les plus évolués. Raison de plus pour cesser de s'illusionner : l'essentiel n'est pas au-dedans, mais sur les bords, et loin de tenter "d'arracher" la peau pour pénétrer au coeur des organes, observer de plus près l'épiderme en dit plus sur la spécificité de l'animal évolué que nous sommes.

Il y a dans ce renversement un zeste de coquetterie intellectuelle, qui ne suffit pas toujours à justifier la lecture. Mais au-delà de ce coté un peu répétitif du procédé de dagognet, la démarche reste intéressante, et fructueuse par endroits. Voir notamment en fin d'ouvrage de belles réflexions sur l'importance du massage et du toucher pour l'éveil à la conscience de soi et la recherche de la bonne disance avec autrui. Dagognet évoque les recherches de Didier Anzieu sur le Moi-Peau : même le psychanalyste, maître sondeur des profondeurs de l'âme, doit se pencher sur la surface.

Voir aussi le passage sur la maladie du charbon. On apprend que des expériences ont été menées qui prouvent que les bacilles nocives peuvent êre inoculées dans le corps sans que le sujet tombe malade, et qu'en revanche, les mêmes bacilles introduites dans la peau entraînent la mort du sujet. Qu'on se le dise, la peau est bien plus qu'une enveloppe. A lire prochainement : Faces, interfaces, surfaces, du même auteur, et La peau en découvertes Gallimard

L'unité carolingienne

L'exposition qui se tient actuellement à la Bnf : Trésors carolingiens, livres et manuscrits est une plongée dans l'esprit carolingien (Charles Martel, 688-741, Pépin le Bref, puis Charlemagne) et dans quelques-unes de ses plus belles productions.

L'éclatement de l'Empire Romain (476) a provoqué une crise culturelle très forte, suscité une très profonde nostlagie de l'unité perdue, nostalgie que les rois carolingiens et Charlemagne en particulier entreprennent de restaurer. Mais l'unité carolingienne - et c'est là une grande partie de son intérêt - ne sera pas essentiellement militaire, politique ou juridique - même si elle le sera aussi en partie - elle sera surtout culturelle et religieuse : unité par le livre, et en particulier la bible avec le soutien de la papauté conçue comme un instrument politique au profit de la cohésion de l'Empire.

Cette question de l'unité et de la cohésion d'un empire composé de peuples différents par le truchement de la culture et d'un média résonne avec certains de mes thèmes de prédilection, dans la France savante de la seconde moitié du XVIIème siècle, ou ceux de Claudia Moatti dans la Rome Antique (La raison de rome, Seuil).

Il y est aussi question de la geste mythique / héroïque de restauration de la culture après des siècles de barbarie et de désordre, avec correction de la bible et du latin nettoyés de leurs impuretés, l'adoption de l'écriture caroline, et floraison de la création littéraire et artistique (protection de l'image), qui justifient l'appellation de "renaissance carolingienne" et mettent en perspective la "Renaissance" du XIIème siècle (Jacques Le Goff, les intellectuels au Moyen âge), et la renaissance tout court après elle, comme autant de jalons d'un même processus.

La réflexion enfle autour de ce désir de réforme et d'unité, et le thème de la succession des périodes de "désordres" et de "renaissance", outre cette exposition, invite à la lecture des passages très éclairants que consacre André Chastel (L'art Italien, Flammarion) au processus répété qui voit l'alternance de l'ascétisme et de la décadence dans l'art (refus de l'ornement et du luxe par un maître respecté, Saint François le premier, puis célébration par l'eglise et commandes toujours plus fastueuses à des artistes, au risque de retomber dans les travers dénoncés, d'où une nouvelle période de réforme...). Mais l'oubli gagne et compromet la pertinence de la digression : on aura l'occasion de revenir plus tard sur la fascination des similitudes de l'histoire et le danger des rapprochements historiques hasardeux.

vendredi, mai 04, 2007

Lalique au Luxembourg

Un voyage dans l'esprit français au début du XXème siècle : art nouveau, art total

Il est toujours très plaisant et gratifiant de rencontrer des oeuvres et des artistes qui synthétisent par leur travail les multiples composantes d'une époque, d'une culture, d'une société. Les bijoux de Lalique en donnent l'occasion.

Les objets exposés au musée du Luxembourg révèlent non seulement la virtuosité et la modernité du bijoutier, mais également ses inspirations du Moyen Age fantastique, son intérêt pour le Japon mais aussi les découvertes nombreuses du début du XXè siècle dans les domaines de la botanique et la zoologie. Visiter Lalique, c'est explorer l'art nouveau, c'est aussi croiser la haute société lettré de l'époque, Gustave Moreau, Sarah Bernhardt, Edmond Rostand.












Lalique, c'est aussi à la fin de sa vie les prémices de l'art déco, et le désir d'appliquer les fruits de la recherche esthétique aux objets de consommation "de masse", ou industriels. Flacons de parfums, bouteilles, coffrets, rien n'échappe à la boulime créative et à sa volonté de faire du bijou un "art total", à tous les sens du terme.

Inde classique

L'art des Gupta (5-6è siècle) est sans doute un grand art, mais l'exposition du grand Palais n'aide pas le visiteur à en prendre toute la mesure. Commentaires insipides ou abscons (ah !! la suave délicatesse du marbre rose, oh !! la douce courbure du sourire de Bouddha), mise en perspective inexistante, on peine à surprendre quelques oeuvres sublimes dans un ensemble qui l'est nettement moins. En dépit d'un regard sur les matériaux travaillé (marbre rose, terre cuite, bronze...) l'exposition devrait laisser de marbre les habitués du musée Guimet.

Looking for Praxitèle

L'expo Praxitèle du Louvre est un rêve d'archéologue. Le parcours de visite est scandé par le questionnement d'un chercheur historien confronté au problème d'un objet dont l'existenc est attestée par de nombreux témoignages, mais qu'il ne peut saisir. C'est la quête vers un artiste dont on a perdu les originaux, et dont on guette la présence fantomatique à travers les traces laissées par ses admirateurs.

Au-delà de ce parti pris de présentation - qui ne manque pas de panache intellectuel - et de quelques pièces absolument magnifiques - en particulier un superbe Hermès, un buste de Sauroctone, etc... - le visiteur aura du mal à replacer précisément l'artiste dans son environnement, et à comprendre l'intérêt de son style par rapport aux solutions plastiques de ses prédécesseurs, le contraposto de Polyclète, l'imperturbabilité divine de Phidias, etc... sans même parler du sens de l'importance de l'invention du nu féminin, par rapport à l'art du nu en général, et à la notion de la féminité en particulier.

Les explications, comme souvent dans les expositions en France où l'on dit vouloir privilégier le contact "direct" avec l'oeuvre, arrivent relativement tard et dispersées dans le parcours. Pour avancer dans cette voie-là, et dépasser l'image d'un Praxitèle solitaire inventeur du nu féminin et génie des poses nonchalentes, il faudra se reporter au livre sur le Nu de Kenneth Clark, et ses belles intuitions sur Appolon, Venus Céleste et Vénus Terrestre.

Au fil de l'expo Praxitèle reste donc tel qu'on a voulu nous l'introduire, une sorte de figure errante de l'art occidental, un fantôme insaisissable et magnifique, resté dans l'histoire à la faveur d'une fulgurance géniale, autant de choses dont on se dit qu'elles appartiennent (peut-être) un peu trop à l'univers romantique pour être tout à fait fidèle à l'éthos grec. Musée du Louvre, jusqu'au 18 juin.