mercredi, février 27, 2008

Degas et Pissaro à Lyon

De passage à Lyon début février, je me faisais une joie d'aller voir l'expo Poussin et/ou l'expo Keith Harring. Aucune des deux n'étant commencée, direction le musée des beaux arts de la ville (je supprimerai sans doute plus tard ce début de post dénué d'intérêt). Au-delà d'un joli bâtiment (ancienne abbaye royale des dames de Saint Pierre), jardin intérieur et bel escalier peint, ce sont quelques pièces modernes qui attirent l'attention du visiteur. J'attire l'attention sur l'extraordinaire Pont Neuf de Pissaro, devant lequel on prend toute la mesure de ce que "tâche colorée" veut dire. Un peu plus loin, ces magnifiques danseuses de Degas, et cette organisation de la toile très particulière, en fond orangé, avec ce mouvement dynamique de droite à gauche mimétique de l'élan. Ici ce n'est pas l'espace mais ce sont les figures qui construisent la profondeur.

Une toile de Picasso, un somptueux Francis Bacon, le splendide Saint François de Zurbaran (il y aura plus tard un post sur Saint François : voir le CD "à voix haute" par Le Goff chez Gallimard, et le bouquin de John Tolan : Un saint chez le Sultan) quelques toiles se détachent d'une belle collection d'ensemble qui reste dominée, à mon sens, par les galeries de peinture moderne. A voir également, ce tableau de Francesco Bassano, fils de Jacopo, Charles VIII recevant la couronne de Naples, accrochée près d'un Véronèse et d'un Tintorret. Le contraste est étonnant, entre la cohue de la bataille, dans le droit fil de San Romano d'Ucello, et le calme incongru du prince à cheval, au dessus de la mêlée, comme si l'on avait télescopé deux moments séparés sans souci de la vraisemblance J'ai connu des après-midi moins agréables. Depuis Keith Harring à commencé, et Poussin aussi. L'occasion d'y retourner très vite sans doute, pour affiner

vendredi, février 15, 2008

Chaïm Soutine à la Pinacothèque de Paris

C'est une chance que l'exposition Chaïm Soutine à la Pinacothèque de Paris soit prolongée jusque début Mars 2008. On y découvre de fort belles toiles, d'un artiste passionnant.

Avant toutes choses, je conseille la consultation du blog de la Pinacothèque de Paris, et le commentaire audio de Marc Restellini commissaire de l'exposition. Le parcours et le profil de Soutine sont instructifs à bien des égards, et permettent de compléter par exemple la réflexion sur l'image romantique de "l'artiste maudit". Nous avons ici le cas d'un artiste ayant cherché à donner de lui-même l'image d'un artiste maudit qu'il n'était pas. Ce n'est pas si commun. Autre sujet de méditation : les difficiles rapports de l'artiste à l'art juif, dans la mesure où il fuit le milieu juif qui le bride en matière de figuration picturale pour rejoindre le milieu antisémite de Paris qui le bride aussi. N'est-ce pas là un joli paradoxe pour un créateur d'image que d'avoir été recouvert par celles qu'il a forgé sur son propre compte et celles qu'on lui a collé sur le dos ?

Dans l'ensemble des oeuvres exposées, ce sont surtout quelques natures mortes qui auront retenu l'attention. En particulier une série de poissons (harengs), tantôt posés dans une assiette, sur une table, à côté d'instruments de musique. Le tableau reproduit ici, avec cette table redressée comme si elle se renversait à la face du spectateur, avec cette juxtaposition énigmatique baguette / violon / poisson, est d'une intensité remarquable, et elle n'est pas la seule. Le motif des deux fourchettes posées face à face comme deux mains crochues sur le corps de l'animal mort (lapin, poisson) revient à quelques rares occasions. Il souligne cette dynamique d'ouverture, d'écartèlement, de peinture éventrée. Les paysages urbains, totalement renversés, les superbes portraits (la jeune femme en vert : un régal) et les volailles pendues (toujours la nature morte) sont un festival de couleurs crues, et de formes nouvelles, exigeantes, un peu torturées, violentes, brutales. Tout le monde y voit Bacon. Je suis assez d'accord (mais j'ai tendance à la voir partout).

La muséographie très originale apporte un peu de fraîcheur dans la grisaille parisienne : les culeurs de Soutine exposées su des murs bleus, vert, bruns, ça nous change des murs blancs façon Moma. Seul regret l'architecture du lieu, chaotique et souterraine, programmée pour la bousculade et l'inconfort de la marche, faite de coins et de recoins, de piliers mal placés, aggravée par le désir d'accumuler sur un espace réduit un trop grand nombre d'oeuvres : les cimaises divisent à ce point les pièces qu'elles forment d'étroits passages où les visiteurs se glissent en se bousculant, et se bouchent la vue les uns des autres. Pour une oeuvre qu'il aurait fallu redécouvrir, on aurait souhaité un confort minimal.

Chaïm Soutine, à la Pinacothèque de Paris, Place de la Madeleine, jusqu'au 2 mars

dimanche, février 10, 2008

Hermann Melville - Moby Dick

De ce livre presque aussi volumineux que son éponyme cétacé, on tâchera de retenir davantage que ce que le film de John Huston en a laissé paraître.

En effet, pris sous un certain angle, Moby Dick est bien une histoire, c'est le récit d'une quête vengeresse menée par le capitaine Achab, à la recherche de la baleine Blanche Moby Dick, responsable de la perte de sa jambe lors d'un précédent voyage. Le face-à-face homme/baleine symbolise l'affrontement de l'homme à la nature, et même au-delà de l'homme à la volonté divine. Le film insiste suffisamment sur cette dimension cosmico-sacrée, beaucoup plus subtilement rendue dans le livre d'ailleurs.

Moby Dick est certes une histoire, mais pas seulement. C'est surtout une encyclopédie, l'encyclopédie méthodique de la chasse à la baleine, de ses pêcheurs, des bateaux et des ports. Des pages entières sur la vie des tavernes avant le départ, la fabrique des harpons, l'extraction de l'huile de baleine pour les usages multiples, de l'éclairage à l'onction des rois. On pourra le trouver ennuyeux parfois, mais le fond de l'affaire oblige l'étonnement, sinon l'admiration. Par le biais de la grande baleine, Melville touche à l'histoire, la religion (la peur des hommes, leur vanité, le destin de Jonas), aux réglements juridiques, à la météo, la philosophie, la politique et aux moeurs. Explorez n'importe quel sujet bien à fond, vous finirez par y trouver l'univers entier. L'hyperspécialisation ouvre les portes de la culture entière. Belle morale leibnizienne en vérité.

Pour finir une belle phrase issue du chapitre LXXXII (82) : "il y a certaines entreprises où le désordre soigneux est la vraie méthode." Saisissant mille détails de la vie à bords et mille prétextes de digression à leur sujet, telle semble avoir été la devise de l'auteur pour l'accomplissement de son oeuvre.

Hermann Melville, Moby Dick, Gallimard folio
Je viens d'apprendre la sortie en salle du film Capitaine Achab, de Philippe Ramos, le 13 février 2008. A voir donc.

lundi, février 04, 2008

Hélène Scherfbeck

L'exposition organisée il y a peu au musée d'art moderne de la ville de Paris a donné a voir quelques toiles d'une artiste méconnue en France. Helene Schjerfbeck, peintre finlandaise, aura donné l'exemple assez étonnant d'une oeuvre à la fois perpétuellement en décalage avec les canons de son milieu, et très éclairante pour le destin de l'art au début du XXème siècle.

Hélène Schjerfbeck (prononcez comme vous pouvez), enfant prodige, est peintre naturaliste / réaliste lorsque la mode est au romantisme et fresques nationales célébrant la lutte des grands héros et les sagas nordiques. Amoureuse d'un homme qui finit par la délaisser, de santé fragile, toute sa vie semble avoir été celle des occasions manquées, sauf dans le domaine de l'art.

Partie de la représentation, elle épure ses tableaux tjusqu'à les recouvrir d'une sorte de brume, de halo lumineux - qui n'est pas sans rappeler certains paysages scandinaves - et finit par dissoudre le réel figuré. Et cette démarche d'effacement progressif, assez touchant de la part d'une artiste qui semble-t-il n'a cessé de se retrancher elle-même de la vue des hommes, au gré de ses déceptions sentimentales, et des contre-courants esthétiques, n'est nulle part plus saisissant que dans le travail de la fin de sa vie sur les autoportraits. Là, on voit des visages de vieille dame de plus en plus malade, ou le crâne dégarni puis chauve s'efface dans un jeu d'ombres où le squelette transparaît sous la peau diaphane ; les lignes s'épurent, puis disparaissent dans des zones où l'on ne distingue plus le motif du fond de la toile, ce qui constitue une évocation saisissante et très intense de la mort elle-même. Comme cette mort est elle-même une annonciation de l'art moderne voire abstrait (dans son refus de l'image), on attend avec impatience les rétrospectives à venir, sur une artiste qui gagnerait à être mieux connue.

Ci-dessus : jeune liseuse, 1904
Hélène Schjerfbeck, Musée d'art moderne de la ville de paris (c'est fini) ((et le catalogue est épuisé))