dimanche, décembre 17, 2006

Les peintres de la réalité à L'Orangerie

L'exposition du musée de l'Orangerie suscite chez celui qui la visite un sentiment mêlé : c'est d'abord (i) la grande satisfaction de voir ou revoir quelques superbes tableaux, et tout particulièrement ceux de Georges de La Tour, dont beaucoup ont fait le déplacement depuis Nantes, Berlin, ou Le Louvre, mais aussi cette belle nature morte de Roger Rohner (1938), exposée dans la salle des consonnances, pas très loin de Balthus, Picasso, Hélion. A moins d'être fan des Frères le Nain, et d'autres respectables tâcherons du pinceau, on s'en tiendra là.


C'est ensuite (ii) le propos même de l'exposition. Ce qui est exposé ici, ce n'est pas "la réalité", ni même des "tableaux de peintres de la réalité". Pas du tout. Le sujet de l'expoition, c'est... l'exposition elle-même, où plutôt celle organisée en 1934 et qui a laissé un souvenir très fort chez tous ceux qui ont eu le privilège de la voir. C'est là que René Char découvre La Madeleine pénitente, là aussi que Jean Hélion s'interroge sur la notion de réalisme et de peinture figurative. Il n'est pas rare de trouver des allusions à l'exposition de 34 dans les biographies ou les parcours artistiques des intellectuels de l'époque. En cela, l'exposition est peut-être aussi célèbre que celle de l'Armory Show de 1913 à New York, dans un tout autre registre. Le musée de l'Orangerie vient d'ouvrir, et célèbre donc sa propre mémoire, se prend lui-même pour le principal sujet de son programme d'exposition. Ce principe de la mise en abîme est un signe du temps : pays lourd de son passé, qui aime à le chérir, à le scruter, pour se glorifier ou se repentir. Lorsqu'une démarche culturelle, qu'elle quelle soit, atteint le stade de la maturité, elle se prend elle-même pour son propre objet. La littérature le fait depuis longtemps, au moins depuis Don Quichotte, le cinéma aussi, par exemple dans Pulp Fiction, grouillant de références à l'art cinématographique. Par parenthèse, et chose curieuse, dans les séries américaines, ce mécanisme de l'auto-référence est souvent utilisé comme un "effet de réel" justement, le signe d'une distance prise par rapport à la fiction. Tel héros de film catastrophe pourra signifier la gravité d'une situation par quelques mots biens choisis : "Putain John, revient sur terre, on n'est pas dans une série télé ici, et je suis pas Mc Gyver ! on s'en sortira jamais !" etc. etc.

C'est donc au tour de la muséographie (ce n'est peut-être pas la première fois) de jouer ce jeu de la commémoration et de la mise en abîme. Soit. Admettons que ce n'est pas le moindre des ironies que ce soit justement un exposition consacrée aux "peintres de la réalité" qui serve de prétexte à cette célébration qui s'en affranchit au contraire.

lundi, décembre 11, 2006

Vélazquez, peintre réaliste ?

Il y a une tendance de la muséographie contemporaine - j'ignore si c'est une tendance récente ou bien un poncif mille fois dénoncé - qui consiste à reconnaître les qualités d'un peintre en fonction de sa fidélité - ou non - à la réalité. Être réaliste, voilà la grande affaire. C'est le travers qu'on pourrait reprocher à cette exposition de la National Gallery, en dépit de quelques merveilleuses toiles présentées (ci contre, le vendeur d'eau). Vélazquez, peintre réaliste, vraiment ? On feint de s'étonner de ce qu'il se serait inspiré des traits de sa tante, de sa mère, de sa femme, pour pendre la vierge Marie. Ah ! Le peintre du réel ! En voici un qui ne rêve pas, non Madame, en voici un qui pense "concret", "pratique", "tangible", voilà un "pragmatique". Cette fascination béate pour ceux qui osent peindre les "petites gens" sans fards (il y avait la même chose à l'expo Rembrandt du Louvre : et comme d'habitude, lui aussi était le premier à "tourner le dos aux illusions"), ou s'inspirent de prostituées pour peindre des madones n'est pas digne d'un grand musée comme la National Gallery, et sans doute pas digne de Velazquez. Bon, je m'emporte. C'est très exagéré. Du coup je profite de ce que l'expo se termine pour envoyer ce poste excessif, donc insignifiant, mais qui soulage. Pour une vision plus modéré, voir ici.

Holbein le jeune à Londres

L'exposition Holbein actuellement à la Tate Britain de Londres est une vraie splendeur. Alors bien sûr je sais que dans ce blog, il y a une surreprésentation des livres et des expositions que j'apprécie, au risque de donner le sentiment d'une publication de béni oui oui, mais pour le coup j'insiste, une vraie splendeur. Non seulement par la (très) grande qualité des oeuvres exposées (on ne se lassera tout de même pas d'aller voir, à quelques pas de là, les Ambassadeurs de la National Gallery), mais aussi par l'occasion ici donnée d'apercevoir l'immense éventail des talents et des activités du peintre à la cour de Londres, à partir des années 1530, de l'art du portrait à la confection d'objets précieux et décoratifs, et ses ramifications à travers toute l'Europe.

On y découvre d'abord Holbein dessinateur, avec une quantité de travaux préparatoires et d'esquisses d'atelier. Il y a ce superbe portrait de Sir John Godsalve, devant lequel on reste comme fasciné par la profondeur du regard, la noblesse de la pose. On y retrouve surtout Holbein fabuleux coloriste, dont les figures se détachent sur fond bleu vif, vert profond, rouge lisse écarlate. Par le contraste d'un manteau sur un fond doré, d'un petit animal sur le rideau, il y en a qui savent s'y prendre pour vous exciter les yeux. Le portrait d'Edouard VII enfant (ci-dessus), baigné de rouge, est un éloge de la couleur. Il est une des nombreuses illustrations du goût d'Holbein pour les tissus pesant et les chapeaux larges, les drapés lourds, les encolures et les plumes, tout un art de l'ornement vestimentaire qui n'est pas le moindre de ses centres d'intérêt.

Holbein se distingue bien sûr par son art du portrait. L'exposition en est pleine. Au fil des salles, l'exposition illustre d'ailleurs (entre autres) le relatif abandon du portrait de profil classique, inspiré des médailles antiques, au profit du portrait de 3/4, puis de face, en position frontale. On sait qu'Holbein a peint l'Europe humaniste de son temps, d'Erasme à Thomas More, et tissé une familiarité avec ses modèles qui transparait dans les tableaux. Aussi le spectateur pourra être surpris des ongles ostensiblement souillés d'Erasme sur l'un des portraits de l'exposition. On croyait l'usage réservé à Caravage (Bacchus), De la Tour (Le tricheur), aux "peintres de la réalité" dans un esprit de provocation irrespectueuse. Mais l'humaniste a tant fait pour valoriser le travail de l'érudit comme un authentique labeur (et non comme simple loisir, otium) que les mains caleuses, salies par l'activité et posées sur un livre des travaux d'Hercule sont le signe d'une reconnaissance et d'une complicité de l'artiste et de son modèle.

Mais Holbein n'est pas seulement peintre, il est aussi décorateur, concepteur d'objets, de vases, de vaisselle, de lustres, de coupes pour l'usage de la cour. Il est envoyé en mission brosser le portrait des promises d'Henri VIII, il dessine des broches, des plans de cheminée et des écussons pour orner la haute société londonienne, s'associant à des forgerons et de toute l'Europe du nord. Holbein est également illustrateur de livres, en particulier des livres religieux et de la Bible, dans une Angleterre récemment gagnée par le souffle de la réforme. L'exposition présente de nombreuses vignettes édificatrices ou morales et lève le voile sur un aspect méconnu (?) du travail d'Holbein.

Au fil de ce parcours, le visiteur ressort plus convaincu que jamais de l'unité profonde des arts, des lettres et de la culture dans ses manifestations les plus diverses. De la peinture à l'orfèvrerie, du style vestimentaire à l'art du livre, de l'image politique à la religion, il n'y a qu'une immense culture commune, qu'il revient à l'homme de tenter d'embrasser. Tâche difficile, impossible sans doute, qui est justement le coeur du projet humaniste. A voir.

mardi, décembre 05, 2006

William Hogarth au Louvre

Avec cette exposition William Hogarth, Le Louvre donne à ses visiteurs l'occasion d'une sortie culturelle d'une rare densité. D'un point de vue esthétique sans doute (la série des tableaux du "mariage à la mode" est un pur chef d'oeuvre), mais aussi du point de vue de l'histoire de l'art et de ses ramifications nombreuses, à l'histoire tout court, celle de la nation anglaise, et celle de ses idées.

Il y a de tout dans Hogarth. Il y a d'abord la satire sociale, le portrait moral d'une société britannique en pleine mutation, animée de la frénésie du commerce sous toutes ses formes : échange des marchandises, échange des idées, échange des biens. Hogarth y dénonce les flétrissures sous la bonne morale, la corruption sous la politesse et donne à voir les tares morales sous les délicatesse de la façade, à la manière d'un Marivaux. Il n'est peut être pas étonnant que le sentiment de légèreté naïve et de joliesse molle aient fini par masquer, chez celui-ci comme chez celui-là, la vigueur dénonciatrice et le regard sans concession porté sur les travers du monde contemporain.


L'exposition est aussi une porte ouverte sur les origines de l'empirisme anglais, et le privilège accordé à l'observation directe de la nature, sur l'imitation servile des modèles anciens. Avec son concept de la "ligne serpentine" ou "ligne de beauté", exposé dans la préface de son livre sur l'analys du beau, Hogarth défend la possibilité (optimiste ou naïve, on a le choix) d'atteindre le beau par une méthode rigoureuse, simple, et accessible à tous. Fustigeant l'esthétique aristocratique du "je ne sais quoi", selon lequel le beau serait une qualité fugace, identifiée par les seules élites auto-proclamées, Hogarth promeut au contraire l'idée d'une "règle de l'art" permettant d'atteindre le beau "à tous les coups". Il croit pouvoir trouver le point commun de toutes les belles oeuvres de l'humanité dans la "ligne serpentine" de Michel Ange, que tous les artistes de l'histoire auraient appliquée sans le savoir, mais qu'il revient à Hogarth d'avoir exposée en pleine lumière.

Cette ligne serpentine offre enfin une façon nouvelle de gérer la diversité, et le chaos du monde, dont le désordre apparaît crument avec la crise de la modernité, jusqu'à l'abandon des trois unités classiques (lieu, temps, action). Comment unifier la diversité de la nature, maintenant que les principes d'ordre traditionnel, Dieu, la science classique, la morale, et même les règles de l'Académie des anciens, se sont estompés ? La réponse d'Hogarth porte en elle l'intuition d'une responsabilité nouvelle attribuée au spectateur lui-même, c'est-à-dire à l'homme. C'est à lui qu'il revient désormais d'unifier sous son regard la diversité des actions représentées sur la toile, de lire une série complète de tableaux qui offrent une pluralité de points de vue sur un même personnage. La ligne serpentine ne vise pas autre chose : réunir tous les points saillants du tableau par une même ligne ondulée qui le traverse.

Ce sont autant d'éléments qui justifient l'intérêt porté outre-manche à cet artiste, premier peintre de la nation anglaise, se voulant le digne héritier dans le domaine pictural de Swift, Milton ou Shakespeare dans le domaine littéraire. Autant d'éléments qui justifient de s'y rendre au plus vite. On en profitera évidemment pour savourer quelques-uns des merveilleux Rembrandt exposés juste à côté (post à venir, mais rien ne presse...).

mercredi, novembre 15, 2006

Les bienveillantes et l'idée de fraternité

Le bouquin de Littell est un peu intimidant, déjà par le poids et le volume de ses 900 pages, encore alourdi par le nombre des gloses, la masse des commentaires et de la rumeur qui l'entourent.

Il faut pourtant lire ce livre, ne serait-ce que pour le premier chapitre, Toccata, trente pages d'une densité psychologique et littéraire inouïe. Sur la forme, c'est un enchaînement mécanique implacable, où chaque phrase annonce la suivante, étroitement liée à celle qui précède, avec ce goût de l'inéluctabilité qui sied aux tragédies. Sur le fond, l'auteur y pose également, dans une gigantesque captatio benevolentiae, les multiples ramifications d'une position psychologique insoutenable et consciente d'elle-même, qui désamorce par avance les critiques, prévient les sentiments de rejet (envers ceux qui ne voudraient pas lire, ne voudraient pas se reconnaître, ne voudraient pas comprendre, ou croiraient pouvoir le faire) et justifie la posture délicate du nazi retraité écrivant froidement sur son passé. Fascinante et glaciale, dans ces premières pages, la séduction du mal joue à fond.

Plus le livre avance, plus Littell enrichit sa grande fresque du délabrement, de la décomposition culturelle, morale, civilisationnelle. Il n'y a rien de vraiment stable dans cet univers, ni haut ni bas, pas de nord ou de sud, a fortiori pas de bien ou de mal. Un beau jour, on peut tuer son ami d'un coup de pistolet sans motif apparent, au détour d'une conversation, torturer au hasard un gamin pris dans la rue. Des hauts gradés s'entre-décorent de la croix de fer dans un bunker humide dans Berlin bombardé. Partout règne l'arbitraire, d'autant plus dangereux qu'il n'est pas systématique. Le roman orchestre tranquillement, chirurgicalement, la fin de toute valeur, de tout repère. La scène finale, grand bazar où le personnage central ère seul au milieu des animaux du zoo de berlin en ruine, avec girafes, chimpanzees, et char d'assaut, est tout un programme. Il faut arriver jusqu'à ce point point pour voir toute la force de la vision littellienne du bruit et de la fureur.

Il y a surtout le probème posé par cette fraternité obligatoire dont le narrateur nous affuble dès le départ ("frères humains, laissez moi vous raconter..."), fraternité qu'il n'a pas jugé bon d'accorder aux juifs exterminés. Certaines voix se sont élevées pour admettre un peu facilement cette fraternité grâce à laquelle Max Aue serait "mon semblable, mon frère", homme parmi les hommes, au milieu d'une tourmente où "n'importe qui" aurait pu "faire pareil". Je ne sais pas, pour ma part, si j'aurais fait pareil. Mais ce que l'on peut dire, néanmoins, c'est que Max Aue n'est pas mon semblable. C'est un psychotique, un dérangé mental, dont le cerveau malade est traversé de pensées obscènes, gangréné par le souvenir de relation incestueuse, de la haine des femmes, de visions de meurtres, d'actes ignobles. L'auteur a brossé un portrait multiforme de son personnage, d'abord en mondain démoniaque, puis en médiocre, en faible, puis en fou dangereux. Sa culture classique et le calme de ses manières d'affable dandy n'y changent rien : il ne suffit pas de cela pour postuler à l'humanitas. Que ce type soit mon frère, je peux le concevoir, bien que cela me révulse, mais je ne l'admet pas d'emblée comme une chose évidente. Il faut conserver intacte le côté problématique de cette fraternité impossible, au lieu de l'escamoter comme ont le fait dans les prés de Saint Germain en affichant complaisamment, avec le sourire des "esprits forts" que "Aue, c'est moi". Je regrette, mais là aussi, il faut quand même savoir dire non et saisir dans le personnage "cette région cruciale de l'âme où le mal absolu s'oppose à la fraternité" (Malraux, cité par Semprun).

Il y a enfin, dans ce livre, certaines pages dont on ne se remet pas aussitôt, sur la langue nazie, sur la "science juive", sur la "synthèse" nazie du socialisme et du nationalisme, des pages qui font froid dans le dos sur l'extermination de la "vermine" dans les plaines enneigées d'Ukraine, sur la folie qui gagne progressivement les soldats des einzatsgruppen, sur les argumentaires serrés de la politique nazie par des sofficiers SS, des images fortes de conversations édifiantes dans des bureaux lambrissés, près des lignes de chemin de fer, avec l'odeur des camps. Tout cela emporte largement, selon moi, les critiques sur la crédibilité du personnage, la véracité de certains détails, la possibilité de fiction au sujet de la shoah. Toutes ces critiques, je les considère sans portée véritable. Mais à chacun de dire ce qu'il en pense. Jonathan Littell, Les bienveillantes, Gallimard.

mardi, octobre 24, 2006

Portraits publics, portraits privés

Le portrait est à la mode. Juste après Titien au musée du Luxembourg, direction le Grand Palais. On y retrouve certaines des problématiques déjà évoquées, l'apparition de l'individu singulier sous l'allégorie du pouvoir, le thème de la physiognomonie ou de la kalokagathia, le jeu des normes et de leurs transgression.

L'expo se présente comme une succession documentaire des différents "types de portraits" : portrait politique, de condition, de femme, de famille, portrait culturel, portrait d'histoire, portrait de convention, etc. Dans le lot, peu de chocs esthétiques, mais de vrais "insights" comme on dit dans le métier, sur l'évolution des codes et du genre du portrait. Rien de très nouveau donc.

Quelques toiles superbes cependant : il y a cet autoportrait de Joshua Reynolds, où la figure du peintre paraît presque se détacher du fond brun, comme détourée et isolée par un puissant effet de lumière. Avec un air à la Rembrandt, l'artiste se laisse adouber par le buste de Michel ange, reprenant le thème archi séculaire de la reconnaissance de l'artiste, représenté en notable docteur en droit.

Voir aussi le portrait du Major William Clunes, par Henry Raeburn, où le personnage pose à coté de son cheval, dans un brouillard coloré, qui mêle ensemble les cheveux et les feuillages, la robe de l'animal et le paysage lontain, avec des effets de saturation lumineuse propre à l'ère romantique, le coté pompier en moins. Le regard hautain du modèle, la position de ses bottes luisantes, et la symétrie quasi parfaite avec le cheval tout juste rythmée par la patte arrière gauche de l'animal, tout cela tient de la haute maîtrise.

On retrouve aussi avec grand plaisir deux portraits d'enfants : Louise Vernet de Géricault, et le Petit enfant rouge à la pie, de Goya. Les oiseaux dans la cage, la pie (symbole de mort) tient dans son bec le billet où l'artiste a posé sa signature (artiste jouet de la mort et des critiques?), tout en étant tenue en laisse par l'enfant et menacée par les chats... Le tableau construit un jeu allégorique très subtil de domination / soumission, encore renforcé par le regard étrangement absent de l'enfant et son habit écarlate. Le vrai portrait de la comédie du pouvoir, c'est celui-là !! On reste émerveillé une fois de plus devant l'incroyable talent de l'espagnol, et la diversité de ses sujets, des portraits de cour aux peintures noires en passant par les scènes champêtres.

Un regret cependant : on se dit qu'avec un titre pareil, l'expo laisse le sentiment diffus mais persistant de ne pas réellement cerner le sujet. Il devait y avoir d'autres façon d'aborder les toiles. Il y a des jours comme ça, où la mayonnaise ne prend pas.

mercredi, octobre 18, 2006

Venise et L'orient

L'expo de l'Institut du Monde Arabe (jusqu'en janvier 2007) emboîte le pas à celle consacrée à Gentile Bellini et l'orient de la National Gallery.

De cette expo, deux ou trois choses à noter : d'abord un éclairage sur des origines de l'école "coloriste" vénitienne, à partir des enluminures et manuscrits arabes, et leur goût des pigments purs. Ensuite l'importance de la verrerie orientale, qui explique naturellement la tradition verrière de la petite île de Murano.

L'expo éclaire les échanges et métissages entre européens et mamelouks, ottomans, et même les perses, qui font de Vénise la véritable sublime porte de l'orient, de 828 (rapatriement des reliques de Saint Marc d'Alexandrie) à 1797 (chute de la république). Un regret cependant, car la pertinence des pièces présentées n'est pas toujours évidente et témoigne parfois plus du désir de valoriser la civilisation arabe (c'est aussi le lieu qui veut ça) que d'éclairer les rapports entre Vénise et l'Orient, sujet de l'expo. De fait, la majorité des oeuvres viennent du XVIè siècle, cad après la prise de Constantinople. Avant cela, les relations de Venise et l'Orient ne sont pas un jeu à deux, mais à trois. Et cela aurait été plus complexe, mais peut-être aussi plus riche, de creuser en profondeur les relations entre la ville d'italie, les derniers feux de l'empire romain d'orient (chrétien orthodoxe), et du monde arabo-musulman proprement dit.

On y retrace aussi l'évolution progressive de la représentation du musulman, sa présence glorieuse dans les tableaux du XVI, jusqu'à sa caricature en acrobate ou en guerrier sanguinaire au XVIII, lorsque Venise décline et que les turcs cessent d'être des partenaires commerciaux érudits pour se changer en de dangereux adversaires. Sans oublier de très beaux tableaux de Bellini (Gentile, frère ainé de Giovanni qui sera le maître de Titien), Carpaccio (prédication et martyr de Saint Etienne, rassemblés en pendant) ou Lorenzo Lotto, et ses magnifiques tapis posés sur les tables de ses portraits de famille, et dont on peut voir des exemples (ci contre portrait de la famille Della Volta, National Gallery). Voir à tout prix le magnifique portrait de Mehmet II (National Gallery), qui sert de point de départ au célèbre roman d'Orhan Pamuk (prix nobel 2006), Mon nom est rouge, enquête policière dans le milieu des artistes vénitiens du XVIè siècle, à lire ab-so-lu-ment.

mardi, octobre 17, 2006

Le coté obscur de Walt Disney

L'expo Disney au grand palais est une heureuse initiative. Pas forcément d'un point de vue artistique (bien que les vues panoramiques comme celle du village de Gepetto ou du Pays Imaginaire soient tout à fait saisissantes) mais surtout d'un point de vue documentaire, et d'histoire culturelle, sur les relations europe - USA, haute culture et culture populaire. En tous les cas, elle est bien autre chose qu'une "expo-tainment".

L’exposition se concentre sur les longs métrages d’animation produits sous la direction personnelle de Walt Disney, soit de Blanche-Neige et les Sept Nains (1937) au Livre de la Jungle, sorti quelques mois après sa mort à la fin de l’année 1967.

On y voit comment Disney, au milieu des années 30, recrute des artistes européens, suédois, danois, irlandais, allemands, anglais... fuyant sans doute le climat délétère de l'entre-deux guerres, formés aux Beaux arts dans leurs pays respectifs, et emportant avec eux le bagage culturel du vieux continent.

Il y a une satisfaction intellectuelle qui nait du simple rapprochement des dessins originaux de Disney avec des œuvres de l’art classique européen, du Moyen Âge gothique au surréalisme, en sculpture, peinture, cinéma. Et il est toujours utile de souligner derrière l'évidente influence littéraire des contes européens (Les Fables, les Métamorphoses, les contes), les rapprochements picturaux qui la nourissent. Le chateau de la belle au bois dormant se reflète dans celui des riches heures du duc de Berry. Le chalet scandinave, le village bavarois alimentent la nostalgie d'un monde pré-industriel, où la nature était préservée. Tout bénéfice pour la vision bi-polaire bons / méchants diffusée par Disney.

Dans la figure de Cruella Devil, il y a tout le mythe de la femme vénéneuse si chère à l'Art Nouveau du XXè (ici Femme au chapeau Noir, de Georges de Feure, vers 1898-1900). On voit partout le témoignage des oeuvres de Bush, Herman Vogel, Henrich Kley, Gustave Doré (les forêts du purgatoire ou de blanche neige), Daumier (les gredins de Pinocchio), les peintres romantiques et symbolistes allemands, Rackham, Stuck (chateaux et donjons divers, forêts enchantées, centaures et fée clochette), les gothiques et préraphaélites anglais (surtout pour La Belle au bois dormant), les primitifs flamands ou le cinéma expressionniste (Le Faust de Murnau et le diable de Fantasia).

Il faut aussi constater - mais peut-être n'est-ce qu'un effet de l'expo, ou une extrapolation abusive, à chacun de voir - que l'héritage européen de Disney sert d'abord à nourir le coté obscur des longs métrages : méchants, diables, escrocs, forêts hantées. Il ne faut pas gratter bien profond sous le divertissement mièvre pour trouver l'empreinte encore visible de la nostalgie et de l'inquiétude européenne. Le vieux continent divisé, déchiré par la guerre, y apparaît ainsi comme la face noire et tourmentée de l'amérique disneyienne et conquérante.

lundi, octobre 16, 2006

Titien, le pouvoir en face

Sur près de 60 oeuvres exposées au Musée du Luxembourg, plus de 30 sont de Titien, accompagnées d'autres de Rubens, Tintorret, Lotto. La qualité des panneaux reste inégale, mais il y a dans l'ensemble 4 à 5 magnifiques toiles dont on ne se lasse pas. Le portrait de Philippe II en vêtement d'apparat, L'Arétin ou les doges vénitiens. Richesse des broderies, éclat des bijoux, profondeur du velour. Voir surtout Paul III Farnèse, où l'on retrouve un des traits caractéristiques de la peinture de Titien, et notamment la façon dont il scinde fréquemment l'arrière plan de ses personnages en deux zones distinctes, l'une fermée, l'autre ouverte sur l'extérieur. Ici le carré de peinture "turnerien" en haut à droite est simplement merveilleux.

Derrière Paul III, une partie de l'espace est fermée par un mur nu, l'autre s'ouvre sur l'extérieur, sans qu'on puisse observer de transition (embrasure de porte, cadre de fenêtre, etc...). Le mur s'arrête net, et l'on a du mal à resituer précisément le personnage dans son espace. Le procédé se répète sur de nombreux tableaux. L'arrière plan est souvent l'occasion de placer quelque objet symbole de puissance (baton de commandement, médailles, couronne, toison d'or, palais, etc.) ou contrepoint allégorique censé apporter une profondeur au premier plan.

Sur d'autres portraits au contraire, l'espace est totalement refermé, construisant une frontalité radicale et face-à-face au personnage représenté. Le visage émerge alors éclairé sur fond sombre, et tout l'appareil symbolique de l'arrière plan disparaît. Titien ne laisser subsister que la personne elle-même, et son regard. Le portrait d'isabelle d'Este (et la fourure de son manteau) vaut à lui seul le déplacement.

On touche ici au plus près de la tradition du portrait, et de sa prétention à (i) rendre compte du caractère ou de l'âme de l'individu représenté par sa disposition physique (kaloskagataï grec) et (ii) favoriser la transmission des qualités morales du personnage représenté au spectateur lui-même. Dans les milieux érudits, on aimait s'entourer de bustes et de portraits de personnages célèbres, vivants ou morts, pour conserver la mémoire des traits, mais aussi pour profiter de l'influence positive et des qualités que l'on prêtait alors au personnage peint.

Il faut saluer la grande économie de moyen avec laquelle Titien effectue ce contact, en dépouillant progressivement les puissants de l'appareil allégorique qui les alourdissait du poids de la lignée, pour restituer la présence vivante de la chair et du regard. Sous la personne publique pointe le particulier. On ne peint pas une idée générale du pouvoir, une allégorie de l'autorité dans laquel le modèle n'aurait plus qu'à se glisser, mais l'incarnation concrète d'un homme qui pourraît être n'importe quel autre mais qui ne l'est pas.

mercredi, octobre 11, 2006

Souvenir de la collection Phillips























Les deux oeuvres viennent de la collection Phillips, exposées au Musée du Luxembourg il y a juste un an. Le Jambon est un tableau très original de Gauguin, qui change des paysages bretons ou polynésiens. Le thème de Degas est plus familier, mais tout aussi simple.

Les toiles fascinent par cette grande plage de couleur Orange - finalement assez rare - qui saisit et excite l'oeil. Le rejet de la peinture érudite et le choix de thèmes simples va peut-être de pair avec la tentative de donner au spectateur le pur plaisir d'une sensation colorée, de la couleur pure. Plus tard les peintures monochromes et l'art minimal reprendront à leur compte le rejet de la peinture "intellectuelle" où le spectateur doit connaître l'histoire des rois et des saints pour décrypter la toile, rejet déjà formulé par les détracteurs de Poussin. C'est peut-être aussi ce qui est en jeu ici. Un jambon, des danseuses, et du orange. Et bien que les deux tableaux proposent des tonalités différentes, dans mon souvenir ils renvoient bien la même couleur, indiquant par là qu'ils ont réussi à saisir ce qu'il y a de commun dans toutes les choses orange, par delà la diversité de variations circonstantielles.

L'Art contemporain au Panthéon

C'est une bonne idée de dynamiser cette vieille batisse du Panthéon, sanctuaire des morts illustres, par des oeuvres d'artistes encore vivants. L'ambiance un peu froide et compassée du monument y gagne au change. Il y a pas si longtemps, c'était Garouste avec une oeuvre très intrigante, très stimulante, Les saintes ellipses, sur le principe de l'anamorphose : une sorte de grande corolle peinte avait été installée dans le choeur du panthéon. Les peintures réalisées sur les bâches venant se projeter dans un miroir à multiples facettes placé au sol, à la pointe de l'entonnoir, miroir permettant du même coup de lire le texte écrit entre les zones peintes, et qui, de loin, ne paraît qu'une suite de batons inintelligibles (magie de l'anamorphose). De haut en bas, de loin, de près, le regard rivé au plancher ou jeté en arrière vers le plafond, l'oeuvre joue de l'espace et crée une relation de proxémie et de distance, un rapport physique très fort, difficile à oublier.

Cette fois ci c'est au tour d'Ernesto Neto d'installer ses quartiers pour le festival d'automne 2007 avec son Levathan Thot, un gigantesque assemblage de poches suspendues, de draps chargés de Polystyrène et de sable, qui forment un genre de réseau organique de synapses ou de veines blanches chargées de gouttes et de sécrétions diverses (bave, salive, sperme, etc.) Comme si l'on pénétrait à l'intérieur d'un corps vivant, avec la visquosité filandreuse de certaines de ses régions (estomac, testicules, intestins). L'effet se perd un peu quand on s'éloigne, notamment pour le filet central rose, qui n'est pas très réussi à mon avis.

Il paraît que l'artiste a voulu signifier le rapport nature / culture avec d'un coté les protubérances son Léviathan, en référence au monstre biblique, et de l'autre cette architecture rectiligne et strictement réglée du Panthéon. Je préfère - et ce n'est pas contradictoire - y voir une nouvelle exploration du rapport de l'oeuvre à son espace, et à l'espace du spectateur. J'aime bien l'idée d'une oeuvre qui vient s'inscrire dans un espace pré-existant, l'habite comme une poche et finit par lui donner une forme nouvelle.

lundi, octobre 09, 2006

Le Laocoon de Lessing

Revenant juste de l'expo "le mouvement des images", je voudrais rappeler ici très bièvement le propos de Lessing dans son livre sur le Laocoon. Je parle de mémoire, donc il y a sûrement des oubli et imprécisions, mais c'est important de fixer quelques idées car elles servent de grille de lecture à certaines des oeuvres dont il question dans ce blog. En plus, comme j'ai eu la chance de le revoir cet été à Rome (le Laocoon, pas Lessing), c'est l'occasion d'y revenir.

C'est un livre qui a perdu bcp de sa force de séduction car il a tellement contribué à balayer les présupposés contre lesquels il se bat, que nous n'arrivons plus aujourd'hui à nous remettre dans la situation qui était celle de ses premiers lecteurs.

Lessing part en croisade contre un préjugé de son époque, selon lequel "il en est de la peinture comme de la poésie" (ut pictura poesis). Avant Lessing, on juge d'une poésie qu'elle est bonne si et seulement si elle est capable de faire voir une belle peinture, et l'on juge d'une peinture à la mesure où elle est fidèle à la poésie. Peinture et Poésie ont les mêmes buts, les mêmes moyens d'expression, le même objet. Elles sont deux mêmes expressions de l'unité du beau.

Lessing va contre cette idée. Pour lui, cette conception est mauvaise, il n'y voit qu'une extrapolation abusive de la dotrine d'Horace. Au contraire, poésie et peinture diffèrent, l'une est un art du temps, l'autre de l'espace. Tandis que Virgile peut donner le spectacle horrible de Laocoon agonisant, parce que le lecteur ne s'y attarde pas (privilège de l'art du temps) en revanche le sculpteur doit choisir un autre moment que celui du cri ou du paroxysme de la souffrance, ) car la représentation d'un visage déformé par la souffrance serait nécessairement laid et difforme, c'est-dire contraire au but de la peinture. Les deux arts, puisant dans leurs ressources propres, adoptent des sujets en conformité avec leurs moyens. De même, dans le poème Virgile décrit Laocoon enserré et étouffé par le serpent qui l'empêche de bouger. Mais le sculpteur a judicieusement choisi un autre moment, mieux conforme à son art, pour rendre la lutte et le mouvement des corps. Sculpter un Laocoon recouvert par l'animal aurait amoinri l'impact de l'oeuvre. Il y a comme ça mille exemples des spécificités de l'une et l'autre.

La poésie peut se permettre de décrire le bouclier d'Ulysse comme une surface recouverte de tant de choses qu'il serait impossible de les reproduire sur un bouclier réel, en revanche si la peinture se bornait à singer les 1001 détails de la poésie épique, elle s'épuiserait en pure perte. Peinture et poésie ne sont pas une seule et même voi vers la beauté, elles ont chacune leurs méthodes, leurs atouts et leurs faiblesse. C'est dénaturer l'une que de vouloir lui faire obéir aux préceptes de l'autre.

Il y a comme ça des livres qui sont des balises entre les époques. Lessing tranche le lien poésie/peinture, qui prévalait avant lui, et qui sera noué de nouveau par les artistes contemporains, avec l'effacement de la distinction si fortement posée. Déjà chez Kandinsky, la peinture devient art du temps de parcours du regard dans le tableau, et les artistes contemporains ne sont évidemment pas en reste, comme le montre l'exemple de la Corée ici.

Voir le bouquin de Lessing, Laocoon, Editions Hermann.

Le mouvement des images

A l'occasion de la nuit blanche, expo "le mouvement des images", au centre Pompidou, entre 2h30 et 4h du matin. L'expo propose une relecture de l'art du XXè siècle à partir des catégories du cinéma : Défilement, projection, récit, montage : ces données fondamentales de l'expérience filmique sont choisies comme grille de lecture / principe de renouvellement du regard sur les œuvres.

Cette approche est très féconde car l'idée même d'un "mouvement des images" remet déjà en cause la dichotomie classique posée depuis Lessing entre les arts de l'espace (peinture) et les arts du temps (poésie). Comme le cinéma est un art de l'espace-temps, il propose déjà une redistribution des catégories artistiques classiques qui ne peut laisser indifférent et qui méritait d'être pointé.

On en vient à lire les oeuvres de Braque comme des puzzles fragmentés à monter, ou à se demander comment les peintres ou plasticiens ont fait et font encore pour représenter le temps, le mouvement sur des supports fixes.

Voir par exemple la façon dont Etienne Jules Marey trace les étapes successives du mouvement d'un perchiste sur une seule image (logique du tracé) ; ou Muybridge qui pose plusieurs images les unes à coté des autres, chacune représentant une étape d'une progression, pour faire sentir le mouvement d'un cheval (logique du cadre). L'un annonce Duchamp (Nu descendant l'escalier), l'autre Bacon (portrait de Michel Leiris) et ses visages passés à la centrifugeuse, comme un arrêt sur image sur des gesticulations à grande vitesse.

vendredi, octobre 06, 2006

Friedlander au jeu de paume

Très belle expo que celle-ci. L'expo Cindy Sherman m'avait déjà beaucoup plu, celle-ci est d'un genre (très) différent. Déjà au niveau du sujet, du format, et aussi de la couleur, puisque Friedlander travaille essentiellement en noir et blanc, hormis quelques clichés de musiciens.

On trouve chez Friedlander, comme chez Bonnard, des effets de miroirs, de vitrines, de reflets qui animent la photo dans tous les sens. La gauche est à droite, l'arrière au devant. Voir cette magnifique photographie de l'intérieur d'une voiture, où l'on voit les nuages et le ciel reflétés sur la vitre s'inscrire sur le plafond de l'habitacle intérieur. Dans toutes cette série de photo, on explore ce que signifie regarder "à travers" (une vitre, un grillage, un écran) ou au dedans (un miroir, un retroviseur, etc...), ce qui est bien le propre du regard via l'appareil photographique. Peut-être l'intérêt porté aux gestes précis des travailleurs à l'usine s'inscrit-il dans la même lignée.


Il paraît que Friedlander est dans la lignée de Walker Evans. Il a fait partie du mouvement du "social landscape" en photographiant des paysages urbains, des stations services desaffectés, des motels de bord d'autoroute, difficiles à localiser, entre la campagne et la ville. Dans le guide, ils disent que c'est une prise de parole politique, le regard porté sur une société US qui perd ses repères traditionnels. Déjà Evans avait marqué la photographie de sa fascination pour les objets ephémères, les néons, les vitrines, les déchets, les objets neutres voués à disparaître. Chez Friedlander, il y a aussi une jubilation visible pour les formes régulières, les effets d'alignement des ombres sur les maisons, l'ombre portée des fils électriques ou des lampadaires sur la chaussée. Avec un coté un peu systématique toutefois.

Il y a surtout des photos de paysages naturels, des grands lacs, et puis des plans rapprochés de branchages, de feuillages entrelacés, sur des photos de format carré, qui ressemblent à des peintures expressionistes à la Jackson Pollock.

Comme je lisais dans la foulée les petits recueils sur Nadar et Evans chez Phaidon, je me disais que c'est une belle collection. Mais si vous avez d'autres conseils de lectures et avis sur l'expo, j'aime autant.

samedi, septembre 30, 2006

Marilyn au musée Maillol

L'exposition des photographies de Marilyn par Bert Stern au musée Maillol est un petit trésor.

Il y a d'abord l'histoire des photos elle-même, les dernières prises avant la mort de la star, et la relation ambiguë du photographe et de son modèle photographiée nue, dans une chambre d'hotel, avec du champagne.

On y découvre surtout une vraie figure moderne de la mélancolie, le regard un peu triste de Marilyn, tombant sous le poids de la fatigue, l'alcool, et d'une série d'épreuves qu'on devine sans trop de mal sous l'euphorie de rigueur. C'est un peu le portrait de l'artiste en clown triste. Marilyn témoigne d'une expressivité fantastique. On passe insensiblement du regard lascif et provocant au minois enjôleur, à la moue désabusée, indolente, puis la tristesse. Des expressions chaque fois magnifiées par le jeu de la lumière, des poses ou des couleurs.

Sur certaines photos, on voit distinctement une grande balafre, la cicatrice d'une opération récente de la vésicule biliaire. On ne peut s'empêcher de penser à une sorte de stigmate chrétien, à la plaie du christ. Autant d'éléments qui annoncent la mort prochaine et font de Marilyn une idole condamnée, achevant de donner à cette série de photos l'épaisseur du mythe.

mardi, septembre 26, 2006

Qu'est-ce que les lumières ?

Petite note en vitesse au sujet du petit livre "Qu'est-ce que les lumières" tout récemment publié par les éditions 1001 nuits, et qui rassemble en un seul volume les deux textes de Kant et de Mendelssohn, avec en bonus une postface de Cyril Morana.

La confrontation des deux textes permet de comprendre ce que signifie l'injonction à faire usage public de sa raison. C'est un moyen de résoudre les conflits entre deux facettes du même sujet, à la fois homme et citoyen.

Pour Mendelssohn comme pour Kant, la destination de l'homme, cad la recherche de la vérité, le progrès de la connaissance, va parfois contre les exigences du citoyen, cad l'obéissance, le respect des lois, l'ordre public, et notamment en matière de religion. Aussi Mendelssohn invite l'homme des lumières à faire usage de prudence lorsqu'il s'aventure sur des sujets sensibles : lorsque l'ordre public est en cause, les lumières doivent se faire discrètes.

Kant refuse cet arrangement. Pour lui, la résolution du conflit ne passe pas par le silence imposé à l'homme par le citoyen. Il passe au contraire par la distinction entre un usage privé de la raison et un usage public. Dans le cadre de ses fonctions, le fonctionnaire d'état n'a pas à faire étalage de ses opinions et de son avis sur la marche de l'administration ou de la politique : il obéit à ses supérieurs, et se contente d'un usage privé de sa raison. Mais il l'accepte d'autant mieux qu'il a droit, par ailleurs, et en dehors de ses fonctions, d'en faire un usage public, et de participer au débat démocratique.

L'usage public de la raison chez Kant n'a donc pas grand chose à voir avec la solidarité entre les hommes, et ce n'est pas non plus un outil commode en vue du progrès de la science (même si ça peut l'être aussi), c'est d'abord une façon de résoudre le conflit entre les deux facettes du sujet, selon une technique très répandue et qui s'applique à d'autres antinomies (vertu et bonheur, nature et liberté). Faute de pouvoir résoudre les antinomies ici et maintenant, on postule leur résolution future par l'intermédiaire du public, de l'histoire ou du genre humain. Kant et Mendelssohn, Qu'est-ce que les lumières ? 1001 nuits.

mardi, septembre 12, 2006

C'est la rentrée

Après un mois d'été chargé en lectures diverses et voyages variés, le blog reprend des couleurs. Mais comme je suis plongé dans la biographie de Mao aux editions Gallimard, près de 1000 pages, le prochain post n'est pas pour tout suite. Ceci dit, vu la fréquentation assidue sur le blog, personne ne devrait en souffrir.

mardi, juillet 18, 2006

L'ordre de Citeaux

Le rève cistercien, de Léon Pressouyre : sans doute l'un des meilleurs "Découverte Gallimard". Très bel aperçu de l'ambition des cisterciens, de leur volonté de dépouillement, d'ascèse, de retour à la règle stricte de Saint Benoît après les dévoiements (?) de Cluny. Principe d'autarcie et de faire valoir direct, organisation de la "multinationale religieuse" grâce à la charte de la charité, etc...

Ce rêve d'ascétisme ou de dépouillement revient de façon chronique dans l'histoire de l'église (jusqu'au protestantisme), mais finit toujours par se faire rattraper, également de façon chronique, par le succès populaire, la reconnaissance et finalement la gloire et l'ostentation artistique. Cette dialectique de l'histoire que l'on retrouve également en italie est bien décrite par le superbe Chastel, L'art Italien.

Voir aussi trois belles pages sur la querelle artistique des clunisiens et des cisterciens : les premiers admettent le recours des sens - et les limites de la condition humaine - pour embellir les églises, les seconds rejettent le figuratif et l'esthétique de gloriole qui détourne de Dieu, pour un art dépouillé, une esthétique des proportions géométriques, de l'harmonie des nombres et des matématiques : désir authentique d'humilité ou orgueil de celui qui pense accéder au divin sans le recours des sens ? Léon Pressouyre, le rêve cistercien, Gallimard. A voir aussi : Saint Bernard, l'art cistercien, de Georges Duby.

les très riches heures de la cour de chine

Pendant l'été, le blog tourne au ralenti.
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Parmi les denrières expo, le musée Guimet nous réserve une magnifique exposition sur les très riches heures de la cour de chine, et les magnifiques rouleau de Wang Hui sur les pérégrinations de l'empereur Kangxi, de la dynastie Qing (1662 - 1796). L'empereur inaugure un temple, lance des travaux de forfications autour du fleuve, dompte la nature et préside aux banquets. On pense aux vers d'Horace, "il en est de la poésie comme de la peinture, l'une de plaira de près, l'autre de loin" : on oscille entre le très grand, l'immense longueur des rouleaux, l'ampleur des fresques, et la minutie des détails sur lesquels on se penche, tel cavalier, tel bosquet, telle hutte. Voir aussi la distinction peintre de cour / peintre lettré.

lundi, juillet 03, 2006

Pierre Hadot et la philosophie comme manière de vivre

Les bouquins de Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie Antique ? (Gallimard) et La philosophie comme manière de vivre (Livre de Poche) sont deux appuis très sûrs pour avancer dans le dédale de la philosophie antique.
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Pour Hadot, ce qui caractérise la philosophie antique (Socrate, Platon, Aristote, philosophes héllénistiques), c'est qu'elle est d'abord une "manière de vivre", et non un pur savoir théorique. C'est ce qui explique le coté un peu déroutant, aporétique ou désordonné de leurs écrits, qui tranchent avec la rigueur des systèmes forgés au 17ès. La philosophie implique un certain mode de vie (tourné vers la science, le plaisir, la cité...) plutôt qu'un savoir sur le monde. Cette conception commence à décliner à partir de l'essor du christiannisme, qui devient le seul mode de vie acceptable, et qui relègue la philosophie au rang de savoir théorique (et exégétique) au service de la foi.
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Hadot complète les thèses de Leo Strauss (La persécution ou l'art d'écrire), qui pointe une autre grande spécificité des antiques vs les modernes, à savoir le contenu ésotérique et la "pensée de derrière" qui se tient entre les lignes de leurs ouvrages, une incommunicable aux masses. On ne peut pas lire les anciens comme on lit les modernes : leurs livres ne donnent pas un contenu, mais proposent une expérience.

Le bouquin permet de compléter aussi la querelle de la sécularisation. Si l'on dit que les concepts modernes sont des concepts religieux sécularisés (et que notre modernité n'est pas légitime), il faut aussi se souvenir que les concepts chrétiens sont eux-mêmes des concepts profanes (platoniciens) divinisés. Le Christianisme s'est inspiré des manières de vivre profanes. Seule différence, et de taille : il l'a communiqué au plus grand nombre, il en a fait un art de vivre pour les masses. D'où la complémentarité avec Strauss.

samedi, juillet 01, 2006

Montesquieu - Essai sur le goût

Dans la droite ligne du Système moderne des beaux arts (cf ci dessous), un petit essai où l'on voit l'émergence d'une discipline esthétique conçue comme autonome, dépouillée notamment des préoccupations morales qui l'encombraient auparavant.
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On se dit aussi que la curiosité, n'est pas un principe d'hybris (Augustin) mais le nouveau principe d'ordre : "comme toutes les choses sont dans une chaîne où chaque idée en précède une autre, on ne peut aimer à voir une chose sans désirer d'en voir une autre..." En parcourant la chaîne des êtres, a cuiriosité n'est aps un égarement des sens et de l'énergie dans la futilité du nouveau, mais le fil d'ariane d'un rapport inédit au savoir.
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A voir également de beaux passages sur le regard. Voir et savoir sont liés : savoir c'est chercher (i) à étendre l'emprise de sonr egard, (ii) voir sous l'apparence des choses par le microscope ou le telescope (iii) disposer d'une vue de surplomb et synoptique des connaissances (via le journal, le tableau, etc.).
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vendredi, juin 30, 2006

Galerie Kamel Mennour

Je ne connaissais rien de Djamel Tatah et je suis entré sur les conseils d'une amie à la Galerie Kammel Mennour où l'artiste expose quelques oeuvres. Pas de quoi devenir vraiment fan, mais il faut reconnaître que le coté à la fois obsessionnel et indéfini de son sujet, à savoir des hommes (femmes?) le plus souvent seuls, et apparaissent sur fond uni coloré dans des postures énigmmatiques suscite l'étonnement, et même, parfois, un certain plaisir de l'oeil. Mais si quelqu'un dans l'univers pouvait me donner quelques clés, je lui en serais très reconnaissant.

lundi, juin 26, 2006

Système moderne des beaux arts

Dans ce livre - un classique - très stimulant, Kristeller montre combien le système des beaux arts (poésie, sculpture, architecture, peinture, musique) qui paraît aller de soi, est une invention totue récente, du 18è siècle.
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Dans l'antiquité, et jusqu'au 17è, les beaux arts comme nous les entendons aujourd'hui n'existent pas. Le beau et l'esthétique ne sont même pas des disciplines autonomes. Le beau est rattaché au bien, au bon, par exemple chez Platon. Au Moyen Âge, les arts libéraux intègrent arts et science sans distinction. La Renaissance bataille dur pour faire admettre la peinture au rang des arts libéraux (cf ci dessous, Alberti) alors qu'elle était jusque là considéré comme un vulgaire métier. Ce n'est qu'avec l'émancipation de la science à partir du 17è que les arts et l'esthétique pourront apparaître comme un champ distinct. Baumgarten et Kant sont les premiers à faire de l'esthétique une région à part entière de leur philosophie.
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Comme ce champ est lui-même en train de se fissurer au 20è, (apparition de nouveaux arts, comme le cinéma, apparition du ready made qui pense la réflexion artistique en dehors et au-delà de la catégorie de l'esthétique...) le récit de sa genèse n'en est que plus stimulant.
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Ce qui m'intéresse là dedans, c'est aussi qu'on y trouve l'idée que le sytème des beaux arts est un concept d'abord né du public. Les artistes y sont réfractaires, car au regard de la production, les arts n'ont pas grand chose à voir, et il ne vient pas à l'idée d'un artiste comme Goethe de les rassembler. En revanche, ils procurent tous un même plaisir esthétique, et c'est ce plaisir éprouvé par les spectateurs qui justifie leur mise en relation dans un système structuré. On pourrait rapprocher et comparer ce rôle du public pour les arts et ce qu'il a rendu possible pour les sciences, via notamment la réception des journaux savants du 17è, mais c'est l'objet d'un autre travail.

dimanche, juin 25, 2006

Avignon et Orange


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Ce week end, escapade vers le sud de la France, pour une très belle cérémonie de mariage, du coté d'Avignon. La gare d'Avignon, de verre et de pierre, moderne, claire, effilée, est une vraie réussite. J'aime y trouver quelques similitudes formelles avec la grande salle du réfectoire du palais des Papes, dont la voute a été restaurée, et qui est également très pure, très effilée, très gacieuse. Ressemblance des formes, esprit de la ville...
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D'un bout à l'autre de la grande place, sous le cagnard, une vraie émotion dans les salles du Palais des Papes, et dans les salles du musée du Petit Palais, qui abrite une formidable collection de peintres italiens du 13è au 15è siècle de (très grande) classe mondiale. Rarement vu, sur un sujet religieux archi classique et rapidement insipide(madone à l'enfant) autant d'originalités, d'inventivité dans le choix des gestes, des regards et des poses. Rafraichissant.

Finalement, la région pourrait rappeler Rome, par le télescopage des époques. A peine sorti du Moyen Âge, de ses couleurs et de son architecture, c'est l'antiquité, Vaison la romaine, Orange. Le théâtre antique le mieux conservé d'Europe est fantastique et colossal sous le soleil de plomb. Il doit l'être encore plus de nuit, quand la lumière des spots reconstruit un décor pour les ruines. Une bonne raison d'aller voir les chorégies d'Orange.




mardi, juin 20, 2006

Avoir un chouette frangin

Petite photo souvenir du Canada, pour la première visite de mon frère sur le blog. En arrière plan, le fjord de l'Anse Saint Jean, dans le nord du Québec, sous un soleil radieux, en mars 2006.

vendredi, juin 16, 2006

Tokyo (2)

Parmi les prouesses architecturales de Tokyo : le forum international, sorte de grande nef de verre qui abrite salles de conférences et centres commerciaux. Ici quelques clichés des parois latérales et de la voute intérieure. Je m'y attendais un peu, mais honnêtement, ça ne rend pas grand chose...

On compare aussi le bâtiment au ventre d'un poisson, avec ses parois convexes, sa forme allongée et sa gigantesque hauteur sous plafond.

Vu sous cet angle, le forum illustre sans doute l'un des clichés les plus... clichés du Japon, dont on nous rabache le délicat mélange de la nature et du high tech, de la tradition et de la modernité. A quelques encablures de métro, Tokyo abrite en effet le plus imposants port / marché de poissons du monde, avec ses alignements méthodiques de Thon pêchés en haute mer, et fraîchement sortis du bateau, scrupuleusement examinés par les négociants venus les acquérir lors des ventes aux enchères.

On se lève à 4h30 pour aller les voir examiner les ouïes et la queue à la lampe torche, tater le poisson congelé et deviser entre experts sur les qualités de la bête, qui sera bientôt débitée, distribuée, et mangée le jour même dans l'un des nombreux restaurants de la capitale. Quand on est pas expert, et en attendant de le savourer en sushi, on se contente de profiter des qualités esthétiques de l'animal, de ses formes que l'on retrouve jusque dans les constructions du centre ville, et qui se diffusent dans la culture japonaise bien au-delà du cercle étroit de la filière poisonnière.

dimanche, juin 11, 2006

Les dessins de Michel Ange : closer to the master

Hier samedi, petit aller-retour à Londres dans l'après-midi pour aller voir les magnifiques dessins de Michel Ange exposés au British Museum. Un vrai coup de coeur, une vraie découverte.
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Le titre de l'exposition, "Closer to the master" est bien choisi, et remplit toutes ses promesses. Penché au plus près des dessins, on entre vraiment - du moins prend-on plaisir à goûter cette illusion - dans le détail de l'oeuvre, l'intimité des repentirs, des essais, des traits de crayons, plus qu'aucune grande composition ne pourrait le permettre.
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Le parcours de l'exposition, chronologique, permet de resituer chaque période de l'artiste, entre Florence et Rome. Il donne aussi à voir l'incroyable évolution, depuis les premiers dessins, époustouflants de technique, avec leurs effets d'ombres (pour le relief), les effets de torsions (pour le mouvement). Le dessin d'Adam est une vraie émotion. Pas un muscle qui ne soit oublié, sur ce corps sursaturé de reliefs et de contrastes, toute la vigueur et la rigueur des oeuvres de jeunesse.
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Evolution lente et maitrisée jusqu'aux dessins des dernières années, où Michel Ange, très âgé, retrouve dans le motif de la crucifixion le goût du sfumato (?), des contours moins heurtés, les figures aux lignes presques tremblotantes, empreints d'une spiritualité nouvelle, d'une aura de mystère, halo de douceur. Affranchi des canons du classicisme, Michel Ange se garde bien de tomber dans la démesure maniériste de ceux qui viendront après lui.
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Ce sont là 95 dessins de pur bonheur, des dessins chargés d'émotion, qui ont été dispersés, puis retrouvés et rassemblés, des dessins jalousement gardés par Michel Ange, rescapés de l'incendie auquel il les vouaient tous. Après 2h d'expo, on regrettera seulement la disposition muséographique, qui a le malheur de confondre proximité à l'oeuvre et entassement des visiteurs.
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Mais rassérénés par une assiette d'antipasti sous la coupole vitrée du British Museum baigné de lumière, juste avant de regarder par la fenêtre du taxi Londres défiler sous le soleil et dans les cris des supporters de la coupe du monde de football, on emporte quand même avec soi un bon souvenir de ces quelques (4) heures passés outre manche...