lundi, novembre 19, 2007

L'art de l'iran Safavide

La merveilleuse exposition consacrée à l'art de l'Iran Safavide, actuellement au musée du Louvre, ne s'impose pas seulement comme un passage obligé pour la grande qualité des oeuvres exposées, ou la curiosité pour la période abordée. Elle est d'abord initiation à une certaine manière de voir, une éducation du regard.

Dans les tableaux des musées de peinture occidentale, du moyen âge à l'ère moderne, le sujet semble s'imposer de lui-même, au premier plan : des joueurs de cartes, une crucifixion, un café la nuit. Le peintre peut sciemment cacher l'essentiel au second plan, créer une illusion de facilité, mais l'essentiel réside en ceci, que l'on peut assez facilement se faire une idée du sujet présenté (fût-elle fausse), ce qui est toujours plaisant pour l'esprit. Au contraire, les miniatures persanes du XV et XVI siècles sont si denses, et fourmillent de personnages et de scénettes si nombreux, qu'il faut regarder patiemment pour dégager progressivement la logique d'ensemble, ou se reporter au cartouche comme un guide précieux. Ici, sur cette page du Shāh-Nāme de Shāh-Tahmāsp, le titre de l'image, "La fille de Haftvad file du coton grâce au ver sorti d'une pomme ramassée en chemin" ne désigne qu'une toute petite partie du paysage reproduit, comme sur les rouleaux peints chinois. Il est d'autant plus difficile de s'y retrouver pour des yeux néophytes en matière de littérature classique orientale.

L'absence de toute perspective, en mettant chaque personnage sur le même plan, empêche les illusions d'une hiérarchie visuelle trop rapidement construite. Ici, le sujet ne s'impose pas, il faut le chercher, ce qui impose à la fois une posture mentale et physique (se pencher, pliser les yeux) qui est un autre rapport à l'oeuvre.

Ces miniatures, nombreuses et variées, sur les histoires de Shirin et de Rostam sont aussi l'occasion d'une réflexion esthétique toujours stimulante sur les bords du cadre, la frontière du texte et de l'image, et les limites de l'oeuvre. La dynamique de l'hypersaturation pousse l'image, dense, pleine à rabords, hors de son cadre et prolifère, tantôt discrètement (une jambe, une pierre), tantôt franchement, comme ici pour cette vision cosmique de Geyomars, souverain du monde (la proximité avec les représentations chrétiennes de la communion des saints et du christ en majesté est troublante).

Il n'y a pas que l'image qui déborde au-delà du cadre, le texte aussi, utilisé pour ses qualités graphiques, intervient en tant qu'image, ou à l'intérieur du visuel. L'imbrication de l'image et du texte est ici totale. Je le disais au début, l'image se rapproche d'un quasi texte que l'on déchiffre, figure après figure. Il n'y a pas de raison que le texte n'accomplisse la moitié du chemin en sens inverse.

Pour accompagner l'expo, on ne saurait trop recommander la lecture de Mon nom est Rouge, d'Orhan Pamuk.

Le Chant du monde, l'art de l'iran Safavide, Du 7 octobre au 5 janvier 2008, Musée du Louvre.

lundi, novembre 12, 2007

L'architecture de la Renaissance

La collection "découvertes Gallimard" accueille décidément (voir ici) quelques petits bijoux dont on regrette toujours de n'avoir eu connaissance plus tôt. L'opuscule consacré à la renaissance de l'architecture est à la fois simple, dense, suggestif et richement illustré.

La Renaissance de l'architecture marque l'abandon des solutions dites "gothiques", marquées par la verticalité, la hardiesse créative, et annoncent le retour à la simplicité antique, par la succession horizontale des ordres, la rigueur symétrique. Ces nouveaux principes de l'architecture se diffusent dans de nouvelles constructions, religieuses et civiles (la villa, la place publique, le palais).

Au-delà des formes, c'est le métier qui change, un peu comme celui du peintre à la même époque, d'art mécanique à libéral. L'art de l'éloquence, la maitrise des mathématiques et du dessin deviennent indispensables, pour donner à voir à l'avance une image fidèle du bâtiment à construire et convaincre les promoteurs. L'architecture devient accessible même à ceux qui n'ont jamais fréquentés les chantiers, humanistes et théoriciens. Alberti bouleverse l'architecture avant d'avoir construit vraiement quoi que ce soit. Devenus des artisans-clés de la construction des maquettes en bois, les menuisiers sont les nouveaux prétendants au rôle d'architectes modernes, en remplacement des ouvriers de la pierre. Rappelant tout cela dans une langue claire et précise, ce petit livre s'impose comme le vademecum de qui s'intéresse à cette période de l'histoire de l'art.

Sur l'importance du plan centré à la Renaissance, ce livre prolonge utilement la lecture de Wittkower, Les principes de l'architecture à la Renaissance. Wittkower dénonçait l'interprétation d'une "sécularisation" de l'architecture à l'époque de l'humanisme, et l'idée fausse selon laquelle le plan centré serait le signe d'un affaissement des valeurs religieuses. Au contraire, le plan centré est tout entier pétri de valeurs sacrées et religieuses antiques. Bertrand Jestaz, élargit l'examen au-delà du thème de l'église et du palais, pour étudier la place publique et le chateau français (le donjon de Chambord). Réjouissant.

Alberto Giacometti à Beaubourg

Première note à la suite d'une visite trop courte à l'exposition Giacometti de Beaubourg. Le parcours, d'abord chronologique, montre les premières oeuvres peintes d'Alberto, et de son père, très marquées par l'impressionnisme, voire le pointilisme.

C'est d'ailleurs frappant de comparer ces oeuvres composées de tâches de couleurs, révélant la composition du visible en tâches et par paquets, car ensuite le regard sur l'oeuvre sculptée est changé. Les scultpures de Giacometti, du moins celles d'après-guerre, mettent en scène non seulement le coté ephémère de figures chancelantes ou de postures décharnées, encore à l'état d'élaboration. Tout cela relève d'abord de la physique des corps, et du sens "tactile" (on sent le passage de la main dans la scultpure, rien n'est lisse, tout au contraire rugueux, bosselé, marqué). Mais elles mettent aussi en avant la précarité du visible, qui relève d'une physique du regard, du sens visuel, comme si les imperfections et les traces laissées dans la terre, l'argile, le bronze, et l'aspect "non finito" du sculpteur étaient un rappel des tâches colorées du peintre. Il y a bien un impressionnisme du toucher comme il y en a de l'oeil.

Le visiteur pourra aussi découvrir la magnifique salle consacrée aux premières années surréalistes et les débuts parisiens, l'influence du primitivisme, avec ces compositions très lisses, symétriques, très pures (blanches et non pas ocres ou terra cotta). ça donne envie de se (re)plonger dans la monumentale (et magistrale paraît-il) biographie d'Yves Bonnefoy, acquise il y a quelques temps, mais jamais réellement lue.

Pour ce qui est du titre de l'exposition, il renvoie à la fois à la reconstitution de l'étroite pièce de travail du sculpteur, avec l'accrochage des murs d'origine. On y voit les dessins en taille réelle des projets de sculptures, et les indications données au frère Diego pour la compsition des armatures métalliques des statues. En pendant, les oeuvres originales sur socle. Mais au delà de ces reconstitutions, et ces rapprochements parfois saisissants (une vidéo montrant la création d'une tête de femme, avec cette même oeuvre posée à côté), les épreuves de la salle phtographique souligne à quel point Giacometti fut viscéralement attaché à son atelier, et représenté comme tel, dans son lieu de travail qui est aussi à ce titre une partie intrinsèque de son oeuvre. Comme le brave Hegel le dit : la vérité inclut son propre processus de découverte. J'y retournerai : les dessins exposées dans les dernières salles sont pure merveille, avec certains portraits fous d'énergie. Centre Pompidou, jusqu'au 11 février.