La merveilleuse exposition consacrée à l'art de l'Iran Safavide, actuellement au musée du Louvre, ne s'impose pas seulement comme un passage obligé pour la grande qualité des oeuvres exposées, ou la curiosité pour la période abordée. Elle est d'abord initiation à une certaine manière de voir, une éducation du regard.
Dans les tableaux des musées de peinture occidentale, du moyen âge à l'ère moderne, le sujet semble s'imposer de lui-même, au premier plan : des joueurs de cartes, une crucifixion, un café la nuit. Le peintre peut sciemment cacher l'essentiel au second plan, créer une illusion de facilité, mais l'essentiel réside en ceci, que l'on peut assez facilement se faire une idée du sujet présenté (fût-elle fausse), ce qui est toujours plaisant pour l'esprit. Au contraire, les miniatures persanes du XV et XVI siècles sont si denses, et fourmillent de personnages et de scénettes si nombreux, qu'il faut regarder patiemment pour dégager progressivement la logique d'ensemble, ou se reporter au cartouche comme un guide précieux. Ici, sur cette page du Shāh-Nāme de Shāh-Tahmāsp, le titre de l'image, "La fille de Haftvad file du coton grâce au ver sorti d'une pomme ramassée en chemin" ne désigne qu'une toute petite partie du paysage reproduit, comme sur les rouleaux peints chinois. Il est d'autant plus difficile de s'y retrouver pour des yeux néophytes en matière de littérature classique orientale.
L'absence de toute perspective, en mettant chaque personnage sur le même plan, empêche les illusions d'une hiérarchie visuelle trop rapidement construite. Ici, le sujet ne s'impose pas, il faut le chercher, ce qui impose à la fois une posture mentale et physique (se pencher, pliser les yeux) qui est un autre rapport à l'oeuvre.
Ces miniatures, nombreuses et variées, sur les histoires de Shirin et de Rostam sont aussi l'occasion d'une réflexion esthétique toujours stimulante sur les bords du cadre, la frontière du texte et de l'image, et les limites de l'oeuvre. La dynamique de l'hypersaturation pousse l'image, dense, pleine à rabords, hors de son cadre et prolifère, tantôt discrètement (une jambe, une pierre), tantôt franchement, comme ici pour cette vision cosmique de Geyomars, souverain du monde (la proximité avec les représentations chrétiennes de la communion des saints et du christ en majesté est troublante).
Il n'y a pas que l'image qui déborde au-delà du cadre, le texte aussi, utilisé pour ses qualités graphiques, intervient en tant qu'image, ou à l'intérieur du visuel. L'imbrication de l'image et du texte est ici totale. Je le disais au début, l'image se rapproche d'un quasi texte que l'on déchiffre, figure après figure. Il n'y a pas de raison que le texte n'accomplisse la moitié du chemin en sens inverse.
Pour accompagner l'expo, on ne saurait trop recommander la lecture de Mon nom est Rouge, d'Orhan Pamuk.
Le Chant du monde, l'art de l'iran Safavide, Du 7 octobre au 5 janvier 2008, Musée du Louvre.
lundi, novembre 19, 2007
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
2 commentaires:
Coucou Matthieu,
bravo!
j'ai découvert ton (superbe) blog par hasard au gré de pérégrinations bloggesques, je le trouve formidable.
A bientôt, bises
c'est très gentil. merci bcp de ce petit mot. le blog n'est pas si rempli que je le voudrais, il au moins une dizaine de posts en retard, mais bon. à très bientôt. mg
Enregistrer un commentaire