lundi, septembre 24, 2007

Cendrillon - Eric Reinhardt

Suite à la belle critique de Pierre assouline dans son Blog (voir ici mais également ici), je plonge dans le roman de Reinhardt. C'est effectivement peu de dire que l'auteur place la barre très haut. Question densité, profondeur, épaisseur, on sera servi.

Le roman promène donc son lecteur à travers 4 récits de vie entrecroisés, voire enchâssés les uns dans les autres, dont celui de l'auteur lui-même. Cela veut dire que le roman se construit sur une alternance des récits, où l'on passe d'un personnage à l'autre, mais également sur l'interchangeabilité de leurs personnalités : ils s'échangent leurs figures paternelles, leurs références culturelles, leurs souvenirs, comme s'ils étaient chacun des variations possibles d'une même personne - en l'occurence celle de l'auteur - sur le mode musical ou chorégraphique (autres thèmes pregnants du roman). Les frontières entre les personnages ne sont pas nettes, la traversée du livre se fait comme on avance dans la brume, laissant derrière soi le souvenir mal assuré d'un rêve. Cela donne ce que l'on qualifie le plus souvent de roman "complexe", "ambitieux", "lesté". C'était peut-être suffisant pour ne pas en rajouter dans les quelques longueurs, ou quelque (premières) pages d'une obscurité superflue. Mais la critique est facile...

Car malgré quelques longueurs (pas très bien compris d'ailleurs les ressorts du "système" Cendrillon), ce roman audacieux tient de la bravoure, avec à la fois une langue très sûre, très riche, tantôt très écrite et à d'autres endroits très orale (la description des outils spéculatifs du trader constitue à mes yeux un passage d'anthologie) et des portraits fins, profonds, sur les atermoiements psychologiques de gens paumés, à la dérive, mal dans leur peau, dans le décor étriqué d'un pavillon de banlieue, devant l'écran d'un site porno, les frasques dérisoires ou pitoyables de gens coupés des réalités, les conséquences à long terme d'un suicide familial (métaphorique ou réel), le goût du Palais Royal et l'heureuse épiphanie d'un jour d'automne.

Eric Reinhardt, Cendrillon, Stock.

Voir Nancy

A l'occasion du salon du livre de Nancy, visite des curiosités culturelles de la ville.

La place Stanislas est la belle réussite que tout le monde salue depuis 2005. Pavée de frais, sous les dorures et la statue du roi de Pologne et duc de Lorraine, l'esplanade de style italien est encore plus belle de nuit.

C'est par cette place qu'on entre dans le musée des Beaux Arts de la ville, qui, outre une magnifique collection d'art Moderne (un extraordinaire Suzanne Valadon, la jeune fille aux bas, flanquée d'un Modigliani, et plus loin Picasso, Monet, Hélion) et quelques toiles (Perugin, Gubbio, transfiguration de Rubens, Caravage, Doré, Delacroix, etc), abrite un extraordinaire escalier, reflet d'une architecture épurée, audacieuse, lumineuse, qui supporte largement la rivalités des institutions les plus prestigieuses, Moma en tête (bon j'exagère un peu, mais c'est bien).



C'est aussi le lieu pour admirer quelques-uns des plus hauts représentants de l'école de Nancy, les tableaux de Prouvé, Friant, et surtout les verres d'Antonin Daum, roi de l'art nouveau et du mariage végétal / minéral, avec des vases, des lampes, des inspirées des formes végétales, asymétriques et dynamiques. Le Musée de L'école de Nancy enrichit cette exploration du mouvement, avec les oeuvres de son chef de file Emile Gallé, et Majorelle. Moitié artistes et moitié industriels, et totalement les deux, ceux de l'école de Nancy mêlent habilement les exigences de l'art, et du quotidien, de l'utile et de l'agrable. On y prend conscience de la nécessité de s'unir pour résister à la concurrence étrangère, l'art répond aussi aux exigences du commerce, du travail de l'usine. En parallèle des travaux parisiens de Guimard et de Lalique dont on a déjà parlé ici, l'expérience nancéenne étonne par les 1001 pistes qu'elle ouvre dans la réflexion sur les rapports de l'art à la société (l'industrie mais aussi la politique : Gallé s'engage très loin dans l'affaire Dreyfus, et contre le rapt de l'Alsace Lorraine par la Prusse), et de l'art à lui-même.

Le thème végétal est source d'inspiration d'autant plus féconde à l'heure du modernisme triomphant, des architecture métalliques d'Eiffel et consors. L'abre, la feuille, la tige apportent énergie et mouvement dans l'objet domestique. Ils symbolisent également certaines valeurs morales mieux que les représentations humaines, à la manière des fables (dont les artistes sont aussi des illustrateurs). Couplé à l'invention nouvelle de l'électricité, le verre coloré multi-couche permet des variations infinies de couleurs et de matières. Meubles, reliures, vases, lampes, verrières: la collection exposée à Nancy en donne un panorama incomparable, dont les salles d'Orsay donnent déjà un aperçu.

Le mouvement de l'école de Nancy, de 1901 à 1909, dont le style commence bien avant et lui survit bien après, est aussi vivant que le thème dont il s'inspire. En l'espace de quelques années, Gallé adopte des motifs toujours plus simples (un seul animal, une seule plante aux motifs complexes de ses premières créations, chargées de bouquets et de guirlandes (évolution due peut-être aussi à l'influence du japonisme : l'archipel s'est ouvert à l'Occident, et réciproquement). Majorelle après lui semble prolonger cette tendance. Il est d'ailleurs assez curieux de constater que celui-ci, épurant la structure de ses meubles, en privilégiant les formes de la tige au détriment de l'ornementation des fleurs, du fatras des feuilles et des pétales du premier Gallé, est aussi celui qui, au Maroc, construit ce jardin qui est le plus bel hommage qu'on puisse rendre à la chose botanique.

Tout cela confirme, s'il était besoin (et c'est parfois utile), le très fort dynamisme artistique lorrain, de Claude Gelée (justement dit le lorrain) à Georges de la Tour (voir le musée Lorrain) en passant par ceux-là évoqués ci-dessus. Pour le débrief général du week-end, rendez-vous au restaurant de Tanesy : girolles au foie gras, noix de saint jacques sauce rubharbe, dessert tuiles chocolat / olives noires joliment appelé "Oui c'est possible". On en redemande.