mardi, octobre 24, 2006

Portraits publics, portraits privés

Le portrait est à la mode. Juste après Titien au musée du Luxembourg, direction le Grand Palais. On y retrouve certaines des problématiques déjà évoquées, l'apparition de l'individu singulier sous l'allégorie du pouvoir, le thème de la physiognomonie ou de la kalokagathia, le jeu des normes et de leurs transgression.

L'expo se présente comme une succession documentaire des différents "types de portraits" : portrait politique, de condition, de femme, de famille, portrait culturel, portrait d'histoire, portrait de convention, etc. Dans le lot, peu de chocs esthétiques, mais de vrais "insights" comme on dit dans le métier, sur l'évolution des codes et du genre du portrait. Rien de très nouveau donc.

Quelques toiles superbes cependant : il y a cet autoportrait de Joshua Reynolds, où la figure du peintre paraît presque se détacher du fond brun, comme détourée et isolée par un puissant effet de lumière. Avec un air à la Rembrandt, l'artiste se laisse adouber par le buste de Michel ange, reprenant le thème archi séculaire de la reconnaissance de l'artiste, représenté en notable docteur en droit.

Voir aussi le portrait du Major William Clunes, par Henry Raeburn, où le personnage pose à coté de son cheval, dans un brouillard coloré, qui mêle ensemble les cheveux et les feuillages, la robe de l'animal et le paysage lontain, avec des effets de saturation lumineuse propre à l'ère romantique, le coté pompier en moins. Le regard hautain du modèle, la position de ses bottes luisantes, et la symétrie quasi parfaite avec le cheval tout juste rythmée par la patte arrière gauche de l'animal, tout cela tient de la haute maîtrise.

On retrouve aussi avec grand plaisir deux portraits d'enfants : Louise Vernet de Géricault, et le Petit enfant rouge à la pie, de Goya. Les oiseaux dans la cage, la pie (symbole de mort) tient dans son bec le billet où l'artiste a posé sa signature (artiste jouet de la mort et des critiques?), tout en étant tenue en laisse par l'enfant et menacée par les chats... Le tableau construit un jeu allégorique très subtil de domination / soumission, encore renforcé par le regard étrangement absent de l'enfant et son habit écarlate. Le vrai portrait de la comédie du pouvoir, c'est celui-là !! On reste émerveillé une fois de plus devant l'incroyable talent de l'espagnol, et la diversité de ses sujets, des portraits de cour aux peintures noires en passant par les scènes champêtres.

Un regret cependant : on se dit qu'avec un titre pareil, l'expo laisse le sentiment diffus mais persistant de ne pas réellement cerner le sujet. Il devait y avoir d'autres façon d'aborder les toiles. Il y a des jours comme ça, où la mayonnaise ne prend pas.

mercredi, octobre 18, 2006

Venise et L'orient

L'expo de l'Institut du Monde Arabe (jusqu'en janvier 2007) emboîte le pas à celle consacrée à Gentile Bellini et l'orient de la National Gallery.

De cette expo, deux ou trois choses à noter : d'abord un éclairage sur des origines de l'école "coloriste" vénitienne, à partir des enluminures et manuscrits arabes, et leur goût des pigments purs. Ensuite l'importance de la verrerie orientale, qui explique naturellement la tradition verrière de la petite île de Murano.

L'expo éclaire les échanges et métissages entre européens et mamelouks, ottomans, et même les perses, qui font de Vénise la véritable sublime porte de l'orient, de 828 (rapatriement des reliques de Saint Marc d'Alexandrie) à 1797 (chute de la république). Un regret cependant, car la pertinence des pièces présentées n'est pas toujours évidente et témoigne parfois plus du désir de valoriser la civilisation arabe (c'est aussi le lieu qui veut ça) que d'éclairer les rapports entre Vénise et l'Orient, sujet de l'expo. De fait, la majorité des oeuvres viennent du XVIè siècle, cad après la prise de Constantinople. Avant cela, les relations de Venise et l'Orient ne sont pas un jeu à deux, mais à trois. Et cela aurait été plus complexe, mais peut-être aussi plus riche, de creuser en profondeur les relations entre la ville d'italie, les derniers feux de l'empire romain d'orient (chrétien orthodoxe), et du monde arabo-musulman proprement dit.

On y retrace aussi l'évolution progressive de la représentation du musulman, sa présence glorieuse dans les tableaux du XVI, jusqu'à sa caricature en acrobate ou en guerrier sanguinaire au XVIII, lorsque Venise décline et que les turcs cessent d'être des partenaires commerciaux érudits pour se changer en de dangereux adversaires. Sans oublier de très beaux tableaux de Bellini (Gentile, frère ainé de Giovanni qui sera le maître de Titien), Carpaccio (prédication et martyr de Saint Etienne, rassemblés en pendant) ou Lorenzo Lotto, et ses magnifiques tapis posés sur les tables de ses portraits de famille, et dont on peut voir des exemples (ci contre portrait de la famille Della Volta, National Gallery). Voir à tout prix le magnifique portrait de Mehmet II (National Gallery), qui sert de point de départ au célèbre roman d'Orhan Pamuk (prix nobel 2006), Mon nom est rouge, enquête policière dans le milieu des artistes vénitiens du XVIè siècle, à lire ab-so-lu-ment.

mardi, octobre 17, 2006

Le coté obscur de Walt Disney

L'expo Disney au grand palais est une heureuse initiative. Pas forcément d'un point de vue artistique (bien que les vues panoramiques comme celle du village de Gepetto ou du Pays Imaginaire soient tout à fait saisissantes) mais surtout d'un point de vue documentaire, et d'histoire culturelle, sur les relations europe - USA, haute culture et culture populaire. En tous les cas, elle est bien autre chose qu'une "expo-tainment".

L’exposition se concentre sur les longs métrages d’animation produits sous la direction personnelle de Walt Disney, soit de Blanche-Neige et les Sept Nains (1937) au Livre de la Jungle, sorti quelques mois après sa mort à la fin de l’année 1967.

On y voit comment Disney, au milieu des années 30, recrute des artistes européens, suédois, danois, irlandais, allemands, anglais... fuyant sans doute le climat délétère de l'entre-deux guerres, formés aux Beaux arts dans leurs pays respectifs, et emportant avec eux le bagage culturel du vieux continent.

Il y a une satisfaction intellectuelle qui nait du simple rapprochement des dessins originaux de Disney avec des œuvres de l’art classique européen, du Moyen Âge gothique au surréalisme, en sculpture, peinture, cinéma. Et il est toujours utile de souligner derrière l'évidente influence littéraire des contes européens (Les Fables, les Métamorphoses, les contes), les rapprochements picturaux qui la nourissent. Le chateau de la belle au bois dormant se reflète dans celui des riches heures du duc de Berry. Le chalet scandinave, le village bavarois alimentent la nostalgie d'un monde pré-industriel, où la nature était préservée. Tout bénéfice pour la vision bi-polaire bons / méchants diffusée par Disney.

Dans la figure de Cruella Devil, il y a tout le mythe de la femme vénéneuse si chère à l'Art Nouveau du XXè (ici Femme au chapeau Noir, de Georges de Feure, vers 1898-1900). On voit partout le témoignage des oeuvres de Bush, Herman Vogel, Henrich Kley, Gustave Doré (les forêts du purgatoire ou de blanche neige), Daumier (les gredins de Pinocchio), les peintres romantiques et symbolistes allemands, Rackham, Stuck (chateaux et donjons divers, forêts enchantées, centaures et fée clochette), les gothiques et préraphaélites anglais (surtout pour La Belle au bois dormant), les primitifs flamands ou le cinéma expressionniste (Le Faust de Murnau et le diable de Fantasia).

Il faut aussi constater - mais peut-être n'est-ce qu'un effet de l'expo, ou une extrapolation abusive, à chacun de voir - que l'héritage européen de Disney sert d'abord à nourir le coté obscur des longs métrages : méchants, diables, escrocs, forêts hantées. Il ne faut pas gratter bien profond sous le divertissement mièvre pour trouver l'empreinte encore visible de la nostalgie et de l'inquiétude européenne. Le vieux continent divisé, déchiré par la guerre, y apparaît ainsi comme la face noire et tourmentée de l'amérique disneyienne et conquérante.

lundi, octobre 16, 2006

Titien, le pouvoir en face

Sur près de 60 oeuvres exposées au Musée du Luxembourg, plus de 30 sont de Titien, accompagnées d'autres de Rubens, Tintorret, Lotto. La qualité des panneaux reste inégale, mais il y a dans l'ensemble 4 à 5 magnifiques toiles dont on ne se lasse pas. Le portrait de Philippe II en vêtement d'apparat, L'Arétin ou les doges vénitiens. Richesse des broderies, éclat des bijoux, profondeur du velour. Voir surtout Paul III Farnèse, où l'on retrouve un des traits caractéristiques de la peinture de Titien, et notamment la façon dont il scinde fréquemment l'arrière plan de ses personnages en deux zones distinctes, l'une fermée, l'autre ouverte sur l'extérieur. Ici le carré de peinture "turnerien" en haut à droite est simplement merveilleux.

Derrière Paul III, une partie de l'espace est fermée par un mur nu, l'autre s'ouvre sur l'extérieur, sans qu'on puisse observer de transition (embrasure de porte, cadre de fenêtre, etc...). Le mur s'arrête net, et l'on a du mal à resituer précisément le personnage dans son espace. Le procédé se répète sur de nombreux tableaux. L'arrière plan est souvent l'occasion de placer quelque objet symbole de puissance (baton de commandement, médailles, couronne, toison d'or, palais, etc.) ou contrepoint allégorique censé apporter une profondeur au premier plan.

Sur d'autres portraits au contraire, l'espace est totalement refermé, construisant une frontalité radicale et face-à-face au personnage représenté. Le visage émerge alors éclairé sur fond sombre, et tout l'appareil symbolique de l'arrière plan disparaît. Titien ne laisser subsister que la personne elle-même, et son regard. Le portrait d'isabelle d'Este (et la fourure de son manteau) vaut à lui seul le déplacement.

On touche ici au plus près de la tradition du portrait, et de sa prétention à (i) rendre compte du caractère ou de l'âme de l'individu représenté par sa disposition physique (kaloskagataï grec) et (ii) favoriser la transmission des qualités morales du personnage représenté au spectateur lui-même. Dans les milieux érudits, on aimait s'entourer de bustes et de portraits de personnages célèbres, vivants ou morts, pour conserver la mémoire des traits, mais aussi pour profiter de l'influence positive et des qualités que l'on prêtait alors au personnage peint.

Il faut saluer la grande économie de moyen avec laquelle Titien effectue ce contact, en dépouillant progressivement les puissants de l'appareil allégorique qui les alourdissait du poids de la lignée, pour restituer la présence vivante de la chair et du regard. Sous la personne publique pointe le particulier. On ne peint pas une idée générale du pouvoir, une allégorie de l'autorité dans laquel le modèle n'aurait plus qu'à se glisser, mais l'incarnation concrète d'un homme qui pourraît être n'importe quel autre mais qui ne l'est pas.

mercredi, octobre 11, 2006

Souvenir de la collection Phillips























Les deux oeuvres viennent de la collection Phillips, exposées au Musée du Luxembourg il y a juste un an. Le Jambon est un tableau très original de Gauguin, qui change des paysages bretons ou polynésiens. Le thème de Degas est plus familier, mais tout aussi simple.

Les toiles fascinent par cette grande plage de couleur Orange - finalement assez rare - qui saisit et excite l'oeil. Le rejet de la peinture érudite et le choix de thèmes simples va peut-être de pair avec la tentative de donner au spectateur le pur plaisir d'une sensation colorée, de la couleur pure. Plus tard les peintures monochromes et l'art minimal reprendront à leur compte le rejet de la peinture "intellectuelle" où le spectateur doit connaître l'histoire des rois et des saints pour décrypter la toile, rejet déjà formulé par les détracteurs de Poussin. C'est peut-être aussi ce qui est en jeu ici. Un jambon, des danseuses, et du orange. Et bien que les deux tableaux proposent des tonalités différentes, dans mon souvenir ils renvoient bien la même couleur, indiquant par là qu'ils ont réussi à saisir ce qu'il y a de commun dans toutes les choses orange, par delà la diversité de variations circonstantielles.

L'Art contemporain au Panthéon

C'est une bonne idée de dynamiser cette vieille batisse du Panthéon, sanctuaire des morts illustres, par des oeuvres d'artistes encore vivants. L'ambiance un peu froide et compassée du monument y gagne au change. Il y a pas si longtemps, c'était Garouste avec une oeuvre très intrigante, très stimulante, Les saintes ellipses, sur le principe de l'anamorphose : une sorte de grande corolle peinte avait été installée dans le choeur du panthéon. Les peintures réalisées sur les bâches venant se projeter dans un miroir à multiples facettes placé au sol, à la pointe de l'entonnoir, miroir permettant du même coup de lire le texte écrit entre les zones peintes, et qui, de loin, ne paraît qu'une suite de batons inintelligibles (magie de l'anamorphose). De haut en bas, de loin, de près, le regard rivé au plancher ou jeté en arrière vers le plafond, l'oeuvre joue de l'espace et crée une relation de proxémie et de distance, un rapport physique très fort, difficile à oublier.

Cette fois ci c'est au tour d'Ernesto Neto d'installer ses quartiers pour le festival d'automne 2007 avec son Levathan Thot, un gigantesque assemblage de poches suspendues, de draps chargés de Polystyrène et de sable, qui forment un genre de réseau organique de synapses ou de veines blanches chargées de gouttes et de sécrétions diverses (bave, salive, sperme, etc.) Comme si l'on pénétrait à l'intérieur d'un corps vivant, avec la visquosité filandreuse de certaines de ses régions (estomac, testicules, intestins). L'effet se perd un peu quand on s'éloigne, notamment pour le filet central rose, qui n'est pas très réussi à mon avis.

Il paraît que l'artiste a voulu signifier le rapport nature / culture avec d'un coté les protubérances son Léviathan, en référence au monstre biblique, et de l'autre cette architecture rectiligne et strictement réglée du Panthéon. Je préfère - et ce n'est pas contradictoire - y voir une nouvelle exploration du rapport de l'oeuvre à son espace, et à l'espace du spectateur. J'aime bien l'idée d'une oeuvre qui vient s'inscrire dans un espace pré-existant, l'habite comme une poche et finit par lui donner une forme nouvelle.

lundi, octobre 09, 2006

Le Laocoon de Lessing

Revenant juste de l'expo "le mouvement des images", je voudrais rappeler ici très bièvement le propos de Lessing dans son livre sur le Laocoon. Je parle de mémoire, donc il y a sûrement des oubli et imprécisions, mais c'est important de fixer quelques idées car elles servent de grille de lecture à certaines des oeuvres dont il question dans ce blog. En plus, comme j'ai eu la chance de le revoir cet été à Rome (le Laocoon, pas Lessing), c'est l'occasion d'y revenir.

C'est un livre qui a perdu bcp de sa force de séduction car il a tellement contribué à balayer les présupposés contre lesquels il se bat, que nous n'arrivons plus aujourd'hui à nous remettre dans la situation qui était celle de ses premiers lecteurs.

Lessing part en croisade contre un préjugé de son époque, selon lequel "il en est de la peinture comme de la poésie" (ut pictura poesis). Avant Lessing, on juge d'une poésie qu'elle est bonne si et seulement si elle est capable de faire voir une belle peinture, et l'on juge d'une peinture à la mesure où elle est fidèle à la poésie. Peinture et Poésie ont les mêmes buts, les mêmes moyens d'expression, le même objet. Elles sont deux mêmes expressions de l'unité du beau.

Lessing va contre cette idée. Pour lui, cette conception est mauvaise, il n'y voit qu'une extrapolation abusive de la dotrine d'Horace. Au contraire, poésie et peinture diffèrent, l'une est un art du temps, l'autre de l'espace. Tandis que Virgile peut donner le spectacle horrible de Laocoon agonisant, parce que le lecteur ne s'y attarde pas (privilège de l'art du temps) en revanche le sculpteur doit choisir un autre moment que celui du cri ou du paroxysme de la souffrance, ) car la représentation d'un visage déformé par la souffrance serait nécessairement laid et difforme, c'est-dire contraire au but de la peinture. Les deux arts, puisant dans leurs ressources propres, adoptent des sujets en conformité avec leurs moyens. De même, dans le poème Virgile décrit Laocoon enserré et étouffé par le serpent qui l'empêche de bouger. Mais le sculpteur a judicieusement choisi un autre moment, mieux conforme à son art, pour rendre la lutte et le mouvement des corps. Sculpter un Laocoon recouvert par l'animal aurait amoinri l'impact de l'oeuvre. Il y a comme ça mille exemples des spécificités de l'une et l'autre.

La poésie peut se permettre de décrire le bouclier d'Ulysse comme une surface recouverte de tant de choses qu'il serait impossible de les reproduire sur un bouclier réel, en revanche si la peinture se bornait à singer les 1001 détails de la poésie épique, elle s'épuiserait en pure perte. Peinture et poésie ne sont pas une seule et même voi vers la beauté, elles ont chacune leurs méthodes, leurs atouts et leurs faiblesse. C'est dénaturer l'une que de vouloir lui faire obéir aux préceptes de l'autre.

Il y a comme ça des livres qui sont des balises entre les époques. Lessing tranche le lien poésie/peinture, qui prévalait avant lui, et qui sera noué de nouveau par les artistes contemporains, avec l'effacement de la distinction si fortement posée. Déjà chez Kandinsky, la peinture devient art du temps de parcours du regard dans le tableau, et les artistes contemporains ne sont évidemment pas en reste, comme le montre l'exemple de la Corée ici.

Voir le bouquin de Lessing, Laocoon, Editions Hermann.

Le mouvement des images

A l'occasion de la nuit blanche, expo "le mouvement des images", au centre Pompidou, entre 2h30 et 4h du matin. L'expo propose une relecture de l'art du XXè siècle à partir des catégories du cinéma : Défilement, projection, récit, montage : ces données fondamentales de l'expérience filmique sont choisies comme grille de lecture / principe de renouvellement du regard sur les œuvres.

Cette approche est très féconde car l'idée même d'un "mouvement des images" remet déjà en cause la dichotomie classique posée depuis Lessing entre les arts de l'espace (peinture) et les arts du temps (poésie). Comme le cinéma est un art de l'espace-temps, il propose déjà une redistribution des catégories artistiques classiques qui ne peut laisser indifférent et qui méritait d'être pointé.

On en vient à lire les oeuvres de Braque comme des puzzles fragmentés à monter, ou à se demander comment les peintres ou plasticiens ont fait et font encore pour représenter le temps, le mouvement sur des supports fixes.

Voir par exemple la façon dont Etienne Jules Marey trace les étapes successives du mouvement d'un perchiste sur une seule image (logique du tracé) ; ou Muybridge qui pose plusieurs images les unes à coté des autres, chacune représentant une étape d'une progression, pour faire sentir le mouvement d'un cheval (logique du cadre). L'un annonce Duchamp (Nu descendant l'escalier), l'autre Bacon (portrait de Michel Leiris) et ses visages passés à la centrifugeuse, comme un arrêt sur image sur des gesticulations à grande vitesse.

vendredi, octobre 06, 2006

Friedlander au jeu de paume

Très belle expo que celle-ci. L'expo Cindy Sherman m'avait déjà beaucoup plu, celle-ci est d'un genre (très) différent. Déjà au niveau du sujet, du format, et aussi de la couleur, puisque Friedlander travaille essentiellement en noir et blanc, hormis quelques clichés de musiciens.

On trouve chez Friedlander, comme chez Bonnard, des effets de miroirs, de vitrines, de reflets qui animent la photo dans tous les sens. La gauche est à droite, l'arrière au devant. Voir cette magnifique photographie de l'intérieur d'une voiture, où l'on voit les nuages et le ciel reflétés sur la vitre s'inscrire sur le plafond de l'habitacle intérieur. Dans toutes cette série de photo, on explore ce que signifie regarder "à travers" (une vitre, un grillage, un écran) ou au dedans (un miroir, un retroviseur, etc...), ce qui est bien le propre du regard via l'appareil photographique. Peut-être l'intérêt porté aux gestes précis des travailleurs à l'usine s'inscrit-il dans la même lignée.


Il paraît que Friedlander est dans la lignée de Walker Evans. Il a fait partie du mouvement du "social landscape" en photographiant des paysages urbains, des stations services desaffectés, des motels de bord d'autoroute, difficiles à localiser, entre la campagne et la ville. Dans le guide, ils disent que c'est une prise de parole politique, le regard porté sur une société US qui perd ses repères traditionnels. Déjà Evans avait marqué la photographie de sa fascination pour les objets ephémères, les néons, les vitrines, les déchets, les objets neutres voués à disparaître. Chez Friedlander, il y a aussi une jubilation visible pour les formes régulières, les effets d'alignement des ombres sur les maisons, l'ombre portée des fils électriques ou des lampadaires sur la chaussée. Avec un coté un peu systématique toutefois.

Il y a surtout des photos de paysages naturels, des grands lacs, et puis des plans rapprochés de branchages, de feuillages entrelacés, sur des photos de format carré, qui ressemblent à des peintures expressionistes à la Jackson Pollock.

Comme je lisais dans la foulée les petits recueils sur Nadar et Evans chez Phaidon, je me disais que c'est une belle collection. Mais si vous avez d'autres conseils de lectures et avis sur l'expo, j'aime autant.