Revenant juste de l'expo "le mouvement des images", je voudrais rappeler ici très bièvement le propos de Lessing dans son livre sur le Laocoon. Je parle de mémoire, donc il y a sûrement des oubli et imprécisions, mais c'est important de fixer quelques idées car elles servent de grille de lecture à certaines des oeuvres dont il question dans ce blog. En plus, comme j'ai eu la chance de le revoir cet été à Rome (le Laocoon, pas Lessing), c'est l'occasion d'y revenir.
C'est un livre qui a perdu bcp de sa force de séduction car il a tellement contribué à balayer les présupposés contre lesquels il se bat, que nous n'arrivons plus aujourd'hui à nous remettre dans la situation qui était celle de ses premiers lecteurs.
Lessing part en croisade contre un préjugé de son époque, selon lequel "il en est de la peinture comme de la poésie" (ut pictura poesis). Avant Lessing, on juge d'une poésie qu'elle est bonne si et seulement si elle est capable de faire voir une belle peinture, et l'on juge d'une peinture à la mesure où elle est fidèle à la poésie. Peinture et Poésie ont les mêmes buts, les mêmes moyens d'expression, le même objet. Elles sont deux mêmes expressions de l'unité du beau.
Lessing va contre cette idée. Pour lui, cette conception est mauvaise, il n'y voit qu'une extrapolation abusive de la dotrine d'Horace. Au contraire, poésie et peinture diffèrent, l'une est un art du temps, l'autre de l'espace. Tandis que Virgile peut donner le spectacle horrible de Laocoon agonisant, parce que le lecteur ne s'y attarde pas (privilège de l'art du temps) en revanche le sculpteur doit choisir un autre moment que celui du cri ou du paroxysme de la souffrance, ) car la représentation d'un visage déformé par la souffrance serait nécessairement laid et difforme, c'est-dire contraire au but de la peinture. Les deux arts, puisant dans leurs ressources propres, adoptent des sujets en conformité avec leurs moyens. De même, dans le poème Virgile décrit Laocoon enserré et étouffé par le serpent qui l'empêche de bouger. Mais le sculpteur a judicieusement choisi un autre moment, mieux conforme à son art, pour rendre la lutte et le mouvement des corps. Sculpter un Laocoon recouvert par l'animal aurait amoinri l'impact de l'oeuvre. Il y a comme ça mille exemples des spécificités de l'une et l'autre.
La poésie peut se permettre de décrire le bouclier d'Ulysse comme une surface recouverte de tant de choses qu'il serait impossible de les reproduire sur un bouclier réel, en revanche si la peinture se bornait à singer les 1001 détails de la poésie épique, elle s'épuiserait en pure perte. Peinture et poésie ne sont pas une seule et même voi vers la beauté, elles ont chacune leurs méthodes, leurs atouts et leurs faiblesse. C'est dénaturer l'une que de vouloir lui faire obéir aux préceptes de l'autre.
Il y a comme ça des livres qui sont des balises entre les époques. Lessing tranche le lien poésie/peinture, qui prévalait avant lui, et qui sera noué de nouveau par les artistes contemporains, avec l'effacement de la distinction si fortement posée. Déjà chez Kandinsky, la peinture devient art du temps de parcours du regard dans le tableau, et les artistes contemporains ne sont évidemment pas en reste, comme le montre l'exemple de la Corée ici.
Voir le bouquin de Lessing, Laocoon, Editions Hermann.
lundi, octobre 09, 2006
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3 commentaires:
Bonjour j'avais cru comprendre que justement le laocoon de Lessing réconciliait ou distribuait différemment la correspondance entre peinture et poésie, ne rompant avec l'ut pictura poesis que par la distance prise avec l'imitation de la nature qui servait de base à l'époque aux liens entre peinture et poésie.
Bénée.
(http://benee.canalblog.com)
Je ne sais pas ce qu'il en est chez Lessing de la question de l'imitation de la nature, qui est effectivement un troisième terme entre la poésie et la peinture, mais en tous les cas le texte est assez virulent sur la démarcation des arts : chaque art a ses ressources propres, et pour atteindre son but (et peut-être aussi mieux imiter la nature ou être plus efficace) il lui faut s'appuyer sur ses outils à lui.Il faudrait sans doute que je m'y replonge.
Chers amateurs d'art,
Permettez que je replace les choses dans leur contexte, et que j'apporte ma modeste contribution à ce débat esthétique ô combien passionnant!
Il me semble que Lessing déplace l'antique débat concernant le rôle de la "mimesis" dans l'art. En effet, le troisième terme (la nature) semble secondaire dans son analyse de la fonction respective de la poésie et de la peinture. Puisque la première s'occupe des actions qui se déroulent successivement, et la seconde des corps qui sont juxtaposés dans l'espace, chacun de ces arts a son "langage" propre. De fait, comme il insiste sur le medium de ces arts (la forme), l'objet (la nature) semble passer au second plan.
Peut-être aurais-je éclairé bénée?
(http://guepard.over-blog.org/article-27433946.html)
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