Avec cette exposition William Hogarth, Le Louvre donne à ses visiteurs l'occasion d'une sortie culturelle d'une rare densité. D'un point de vue esthétique sans doute (la série des tableaux du "mariage à la mode" est un pur chef d'oeuvre), mais aussi du point de vue de l'histoire de l'art et de ses ramifications nombreuses, à l'histoire tout court, celle de la nation anglaise, et celle de ses idées.
Il y a de tout dans Hogarth. Il y a d'abord la satire sociale, le portrait moral d'une société britannique en pleine mutation, animée de la frénésie du commerce sous toutes ses formes : échange des marchandises, échange des idées, échange des biens. Hogarth y dénonce les flétrissures sous la bonne morale, la corruption sous la politesse et donne à voir les tares morales sous les délicatesse de la façade, à la manière d'un Marivaux. Il n'est peut être pas étonnant que le sentiment de légèreté naïve et de joliesse molle aient fini par masquer, chez celui-ci comme chez celui-là, la vigueur dénonciatrice et le regard sans concession porté sur les travers du monde contemporain.
L'exposition est aussi une porte ouverte sur les origines de l'empirisme anglais, et le privilège accordé à l'observation directe de la nature, sur l'imitation servile des modèles anciens. Avec son concept de la "ligne serpentine" ou "ligne de beauté", exposé dans la préface de son livre sur l'analys du beau, Hogarth défend la possibilité (optimiste ou naïve, on a le choix) d'atteindre le beau par une méthode rigoureuse, simple, et accessible à tous. Fustigeant l'esthétique aristocratique du "je ne sais quoi", selon lequel le beau serait une qualité fugace, identifiée par les seules élites auto-proclamées, Hogarth promeut au contraire l'idée d'une "règle de l'art" permettant d'atteindre le beau "à tous les coups". Il croit pouvoir trouver le point commun de toutes les belles oeuvres de l'humanité dans la "ligne serpentine" de Michel Ange, que tous les artistes de l'histoire auraient appliquée sans le savoir, mais qu'il revient à Hogarth d'avoir exposée en pleine lumière.
Cette ligne serpentine offre enfin une façon nouvelle de gérer la diversité, et le chaos du monde, dont le désordre apparaît crument avec la crise de la modernité, jusqu'à l'abandon des trois unités classiques (lieu, temps, action). Comment unifier la diversité de la nature, maintenant que les principes d'ordre traditionnel, Dieu, la science classique, la morale, et même les règles de l'Académie des anciens, se sont estompés ? La réponse d'Hogarth porte en elle l'intuition d'une responsabilité nouvelle attribuée au spectateur lui-même, c'est-à-dire à l'homme. C'est à lui qu'il revient désormais d'unifier sous son regard la diversité des actions représentées sur la toile, de lire une série complète de tableaux qui offrent une pluralité de points de vue sur un même personnage. La ligne serpentine ne vise pas autre chose : réunir tous les points saillants du tableau par une même ligne ondulée qui le traverse.
Ce sont autant d'éléments qui justifient l'intérêt porté outre-manche à cet artiste, premier peintre de la nation anglaise, se voulant le digne héritier dans le domaine pictural de Swift, Milton ou Shakespeare dans le domaine littéraire. Autant d'éléments qui justifient de s'y rendre au plus vite. On en profitera évidemment pour savourer quelques-uns des merveilleux Rembrandt exposés juste à côté (post à venir, mais rien ne presse...).
mardi, décembre 05, 2006
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