L'exposition Vlaminck (1876 - 1958) présentée actuellement au Sénat se consacre aux premières années du peintre fauve, de 1900 à 1915, période elle-même scindée en deux, marquée par la césure de 1907 et la découverte de Cézanne qui réoriente sensiblement le travail de la couleur. La couleur, c'est bien la grande affaire de Vlaminck, comme on peut lire ici ou là (La Croix, Rue 89, F3 et ici et encore là). Les premières années dans le compagnonnage de Matisse et Derain sont effectivement marquées la vigueur du colorisme, qui n'est cependant pas si débridé que cela. Je m'explique. Trop de commentaires abusent d'une rhétorique de la "férocité", "l'explosion", le "déchaînement" sans règle des pigments sur la toile. Peut-être est-ce ainsi que ces toiles furent perçues en leur temps.
Le spectateur 2008 trouvera peut-être que la tempête colorée paraît plus sage avec le recul, révélant (peut-être) du même coup ce qui est au coeur de la démarche. Les tableaux de Vlaminck sont à leur meilleur lorsqu'ils mettent en scène non pas une explosion débridée mais plutôt cette tension interne au panneau, entre les couleurs et les formes, les unes toujours sur le point de déborder ou de faire éclater les autres, mais sur le point seulement, et sans toutefois gommer les formes de la figuration. Des blés rouges, des nuages roses, des ponts multicolores sur la seine, avec leurs reflets bleus, ocres, verts : tout semble rôtir, rougeoyer d'une intensité particulière, à la lisière de l'écartèlement. Les couleurs travaillent l'organisation du tableau, elles dynamitent la représentation du réel, mais n'explosent pas tout à fait et ne rompent pas les amarres avec lui. Sauf en de très rares exceptions, il est vrai, qui flirtent alors avec l'abstraction, ou l'expressionnisme abstrait.
Il est d'autant plus remarquable que le peintre se soit livré à ce travail sur la couleur sur le ciel grisâtre de la région parisienne et Chatou, lorsque ses congénères ne juraient qu'au soleil du Midi. Mais rapidement Vlaminck prend acte des limites du colorisme excessif : « Le jeu de la couleur pure dans laquelle je m’étais jeté à corps perdu ne me contentait plus. Je souffrais de ne pouvoir frapper plus fort, d’être arrivé au maximum d’intensité, limité que je demeurais par le bleu ou le rouge du marchand de couleurs ».
Une deuxième chose frappante, dans les toiles exposées là, vient de la récurrence du thème de la fumée, celle de la cigarette, de la pipe, de la cheminée d'usine ou du remorqueur, des nuages... Il y a peu de tableaux où ce thème est totalement absent. Or la fumée est un élément central de toute réflexion sur la forme et le visible : par son évanescence, sa précarité, la fumée illustre la tension de la forme et de l'informe, de l'émergence et de la disparition. On se rappelle du beau livre d'Henri Atlan sur ce thème.
La découverte de Cézanne en 1907 marque un point de non retour. Comme s'il était parvenu au terme de son exploration de la couleur, Vlaminck travaille sur les formes de l'espace fragmenté, les distorsions de perspectives, dans les tons bruns, gris, ocres, inspirés du cubisme. C'est aussi l'occasion d'une autre approche sur la couleur, par des effets de contraste, la clair / obscur, la superposition de blancs et noirs, rouges et verts (Les toits rouges), des hameaux colorés entr'aperçus à travers ls branchages sombres. Dans ces tableaux, on perçoit encore la leçon de Cézanne.
Le visiteur croisera bien sûr au fil de l'exposition le galeriste Ambroise Vollard (toujours lui), grâce à qui le peintre acquit renommée et fortune. Les pièces de céramique (jarres, assiettes) réalisées sur ses conseils avec André de Metthey, méritent le coup d'oeil. Enfin, les quelques magnifiques statuettes d'art premier dont Vlaminck fut un précoce défenseur et collectionneur, en regard des tableaux d'avant guerre, aux couleurs souples, douces, presque effacées dans la brume (toujours la fumée), fournissent des éléments pour une lecture de Vlaminck au moins autant marquée par le travail sur la forme que sur la fascination de la couleur.
Vlaminck, un instinct fauve, exposition au musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris VIe - jusqu'au 20 juillet - lun. et ven. de 10h30 à 22h, mar., mer., jeu. et sam. de 10h30 à 19h, dim. de 9h à 19h - Rés.: 08-92-684-694 - 6€/11€.
lundi, avril 28, 2008
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