La discussion s'est engagée sur un banc de l'exposition-rétrospective Ingres qui se tient au Louvre jusqu'au 15 mai 2006.
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Camille souligne le traitement particulier du regard dans les tableaux du maître : regard effacé, vide, de certaines femmes, ravalées au rang d'objets (sexuels). Elles sont représentées de dos (baigneuse Valpençon), nous les voyons alors qu'elles n'ont pas le privilège de nous voir, ce qui les place - d'une certaine manière - en position d'infériorité - d'exposition - par rapport au spectateur/voyeur. Tout le contraire de certains portraits d'hommes, où le modèle et le peintre sont placés (pour ainsi dire) à égalité : regard vif, intelligent, de l'homme qui n'est pas seulement objet du regard, il est aussi indéniablement sujet du regard, signe d'une maîtrise active sur le monde qui l'entoure. Bien sûr, il y a des exceptions.
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Ingres justifie lui-même cette importance de la représentation du regard : "Dans une tête, la première chose à faire, c'est de faire parler les yeux". Il faut donc s'y attarder. Mon hypothèse est la suivante : le peintre a vocation à régner sur le visible, à organiser comme il l'entend ce qui va être représenté sur la toile. Il y a une prétention totalitaire à garder la maîtrise de ce qui est vu, et même si possible à épuiser la totalité du visible.
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Par exemple dans le portrait de Mme Paul Sigisbert - ce n'est pas le seul exemple - Ingres peint le protrait de face, mais il peint aussi son reflet dans le miroir. Il ramène sur le devant de la scène ce qui normalement reste caché derrière et invisible. Ambition de totalité, de représentation de toutes les faces d'un objet. On pense à Picasso, qui peint les objets à la fois de face, de coté, de dessus, de dessous, et ne laisse rien échapper du visible.
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Or il y a un élément dans le tableau qui pourrait désamorcer cette prétention du peintre à régner seul sur le visible : les yeux du modèle. Le peintre représente à l'intérieur du tableau l'organe qui est sa condition d'existence. Par son regard, le modèle conteste au peintre son monopole sur le visible, et renvoie même le spectateur au-delà du tableau, vers des choses que le peintre n'a pas représenté (l'atelier, le peintre lui-même) ou n'a pas pu représenter (la salle du musée, le spectateur). Le regard dans le tableau renvoie le tableau à son origine de création et vers sa réception. Par le regard il cesse d'être un sytème clos où le peintre règne en maître.
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Le traitement du regard chez Modigliani ne poursuit-il pas un but similaire de maîtrise sur le visible ? Celui-là peint des yeux vides, un regard aveugle, et refuse au modèle le droit de voir. Le peintre refuse à quiconque le droit de revendiquer une part de législation sur le visible. Le droit de voir est une chose qui ne se partage pas.
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Ingres, 1780 - 1867. Rétrospective Musée du Louvre, jusqu'au 15 mai 2006
mercredi, avril 12, 2006
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