mardi, décembre 11, 2007

Le culte du banal, François Jost


Professeur à la Sorbonne nouvelle, spécialiste de la télévision, François Jost examine la place de la banalité dans l'art, tout au long du XXè siècle.


Le travail de François Jost prolonge celui déjà célèbre d'Arthur Danto sur la Transfiguration du banal, et peut être lu en regard du Culte de l'amateur, d'Andrew Keen. Visiblement porté par les évolutions du web 2.0 ou la télé-réalité, et l'émergence d'une population d'anonymes ou d'objets quotidiens sur le devant de la scène médiatique et artistique, le sujet inspire.

C'est la fontaine de Duchamp qui marque l'entrée fracassante du banal dans l'art. L'artiste est celui qui "transfigure le banal", qui désigne un objet quotidien ready-made et par cette seule volonté l'érige au rang d'oeuvre, et le soustrait à son usage habituel. L'art n'est pas une affaire de travail, de talent, de beauté, il est avant tout affaire d'intention de l'artiste. Or, depuis ce geste fondateur, on est progressivement passé de la transfiguration à la banalisation du banal. Les passages sur Warhol sont parmi les plus suggestifs : avec lui la frontière entre l'art et les médias s'émousse, la volonté de transfigurer banal disparaît. Le banal n'a plus eu besoin d'être extrait de son cadre quotidien, il vaut de plus en plus pour lui-même. N'importe qui peut revendiquer son quart d'heure de visibilité publique. On cherche à montrer le banal dans ce qu'il a justement de banal, d'inintéressant, ou de vulgaire, jusqu'à Loft Story. A moins que les émissions quotidiennes, en extrayant dans le flux continuel des phrases vouées à devenir cultes, ne reproduisent sous une autre forme le geste inaugural de Duchamp. Au fil de ce parcours, et une fois le banal totalement banalisé, surgit par contrepoids l'envie de nouveau, d'originalité, le souhait de voir réapparaître d'authentiques experts, de véritables artistes.

L'ouvrage a le mérite de passer en revue, à la manière des bons manuels universitaires, l'ensemble des auteurs et des courants qui ont fait un sort au banal. Michel de Certeau et sa dénonciation des théories sociologiques généralisantes, négligeant le quotidien, et passant du même coup à côté du réel ; Georges Pérec et la difficulté de réellement cerner le banal : n'est-on pas toujours tenté de ne retenir, dans le banal, que ce qui est le plus remarquable, extraordinaire... et de moins banal ? Bruckner, Finkielkraut... tous ont participé, chacun à leur manière, à la revalorisation du banal et de l'ordinaire en esthétique, en sociologie, en histoire, jusqu'à la politique, dans un mouvement symétrique de celui qui, en art, revalorise les détritus et les épluchures, les déchets. Au terme d'une évolution de près d'un siècle, les conditions étaient réunies pour l'apparition de la télé-réalité, de la télé-poubelle.

François Jost se cantonne à la question de l'art, mais on sait que les philosophes allemands du début du XXème siècle comme Walter Benjamin ou Georg Simmel se sont eux aussi fait connaître en étudiants les objets "banals", les feuilletons, les vitrines, les galeries marchandes, le cinéma ou le grand huit pour y déceler les fondements de la culture moderne. Preuve que le banal, dans sa banalité même a quelque chose d'exemplaire parce que partagé (le four banal était autrefois le four mis en commun dans une commune).

François Jost reste sévère dans sa vision de la télé-réalité comme simple "banalisation" du banal et surtout par sa focalisation sur la dimension visuelle du banal. Dans les concepts de Tv réalité depuis le Loft, il ne s'agit plus seulement de "montrer" le banal. Au contraire, il peut s'agir d'explorer les conséquences du passage brutal de l'anonymat à la gloriole (ce que Jost n'ignore pas), d'observer les progrès accomplis dans un domaine particulier (musical par exemple), ou de confronter le jugement du public au jugement des experts (dans La Nouvelle Star par exemple, ou la dernière édition de la Star Academy). Cette confrontation du jugement de goût et du jugement selon des règles au sein d'une communauté esthétique est un thème majeur de la critique d'art, abordé par Kant. Elle aurait donc eu toute sa place dans un livre sur l'art et le banal. Elle aurait pu compléter le travail effectué, car Jost semble se concentrer largement sur l'aspect visuel du banal et la "voracité de l'oeil" qui n'en est qu'une dimension.

François Jost, le culte du banal, de Duchamp à la télé-réalité, CNRS editions.

6 commentaires:

pop corn a dit…

la couverture du livre m'y fait penser: la transfiguration du banal/de la banane.
http://www.geostationarybananaovertexas.com/fr.html

Unknown a dit…

moi j'ai pensé au Velvet Underground en voyant cette banane
et à ma petite fille dont c'est le seul mot désignant un fruit qu'elle arrive à dire (2 ans et 7 mois; est-ce grave docteur?)

"sur la voracité de l'oeil et la monstration du banal."

j'apprécie mais je suis perplexe.

les auteurs que tu présentes, je ne les connais pas. Bruckner, j'ai déjà lu par contre.

mais parlent-ils du banal dans l'art ou de la banalité dans un champs plus vaste, ça j'avoue que je n'ai pas compris.

c'est vrai qu'un énorme pan de l'art dit moderne (disons plutôt, l'art contemporain) se focalise sur le banal, le quotidien, voir l'hyper-quotidien, comme on dirait "l'hyper-réalism" mais à l'égal de ce mouvement, à force de scruter le quotidien, il est en ressort pratiquement magnifié.

enfin, l'art moderne (photographie par exemple) insuffle encore et tjs une vigueur qu'on ne retrouve peut-être pas dans les autres formes d'art. l'imagination y est encore présent

+LAIN

Matthieu Guével a dit…

merci de ces commentaires. pour la voracité de l'oeil et la monstration du banal, mea culpa, c'ets vrai c'ets un peu abscur. a force d'écire vite... je voulais dire que le bouquin insiste beaucoup sur l'aspect visuel du quotidien, alors qu'il y a d'autres dimensions dans le banal. l'expression voracité de l'oeil est de Jacques Lacan, séminaire 11, dans l'analyse de la "pulsion scopique", du désir irrépréssible de l'oeil de se jeter sur le visible (la peinture, c'est l'art de jeter qqch en pâture à la voracité de l'oeil!!). à +

ERIC FIOL a dit…

très interessant, merci !

eric

http://www.grafikeric.com

ERIC FIOL a dit…

trèe interessant, merci

eric

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