samedi, janvier 20, 2007

Klein et Rauschenberg

Ces deux expositions du musée Beaubourg / Georges Pompidou offrent un merveilleux panorama des quelques notions fortes de l'art moderne, que sont la trace, l'hybridation, l'immatériel et la résistance, la transparence et l'opacité de l'oeuvre.

L'art de Klein, je n'y comprends rien. On dira que l'important n'est pas le "comprendre", mais le "ressentir". Il n'empêche, pour un art aussi marqué par le commentaire et le discours, je m'autorise à me plaindre. Il se résume donc pour moi à un bric à brac d'émotions, une série d'oeuvres fortes entre lesquelles j'ai grand peine à déceler fil conducteur, au-delà des élucubrations fumeuses de l'artiste. Il y a d'abord les monochromes. Il faut être resté face à l'un deux pour comprendre certains passages de Kindinsky sur la force intrinsèque - et même la force spirituelle - de la couleur. Fixer le tableau, c'est moins regarder quelque chose posé devant soi que sentir dans son oeil une sorte d'oscillation musculaire, cette contraction / dilation de la rétine ou de la pupille difficile à tenir plus de quelques secondes. On tourne la tête, on change de pose, comme quand on a du mal à soutenir un regard.

Il y a aussi un amour de la trace, de ce qui reste après le passage du pinceau, ou du corps coloré. La peinture, est-ce finalement autre chose ? A la vue de certaines anthropométries, les critiques aiment évoquer les peintures rupestres, les dessins pariétaux des grottes type Lascaux. J'aime mieux comme ici retrouver dans le glissement apparemment erratique du corps sur la toile les formes élaborées de la victoire de Samothrace, à la fois résultat très abouti de la main de l'homme grec, et des mutilations diverses dûs aux hasards de l'histoire.


Une des salles de l'exposition est consacrée aux peintures de feu. Belle surprise. D'abord au niveau de la couleur, avec les ocres, les jaunes, les bruns, les noirs. Ca change du bleu. Ensuite, les peintures de feu sont un vrai prolongement des rélfexions de Bachelard dans La flamme d'une chandelle. Le feu est-ce ce qui fascine par excellence, ce devant quoi on ne peut s'empêcher de rêver, ce dont la présence même est déjà une absence, comme matière immatérielle. Alors que dire de ces traces de feu, qui sont une forme supplémentaire de ces présences / absentes. J'aimerais pouvoir mieux formuler la richesse onirique des ces oeuvres, anthropométries, peintures de feu, éponges bleues. Elles font écho à l'art du Judo, où la beauté du geste et des mouvements accomplis dans l'espace est inséparable de leur fugacité : la peinture ce n'est pas seulement un art de l'espace, elle est un art du temps (voir ici).

L'expo Rauschenberg est terminée depuis le 15 janvier. Ce peintre aux allures sages de jeune premier, propre sur lui, raie sur le côté, construit une oeuvre folle, brute, étonnante. Ce sont des combines, des associations d'objets ramassés ou récupérés : panneau de signalisation, morceaux de bois, coupures de presse, photographies, et toutes sortes d'éléments issus de la vie quotidienne. Tous les objets ont égale dignité à figurer dans l'oeuvre : pneu de voiture, chèvre empaillée, photos d'hommes célèbres et de bâtiments incendiés. Rauschenberg jette par dessus des flots de peinture, des couleurs vives et des traits irréguliers, à la croisée de l'expressionnisme abstrait de Pollock, du Pop Art, des ready made de Duchamp, et d'une vision qui n'appartient qu'à lui. Les oeuvres imposent une présence forte, comme des énigmes impénétrables, des traces recomposées et réorganisées de la matière du monde américain, qui sont un merveilleux contrepoint à l'art de Klein, et le rejoignent parfois, par des voies détournées.

Klein, corps, couleur immatériel, jusqu'au 15 février 2007
Rauschenberg, Combines, jusqu'au 15 janvier 2007
Centre Pompidou

2 commentaires:

pop corn a dit…

Amusant que les 2 expos aient été programmées en même temps. Quelques années avant Klein, Rauschenberg travaillait lui même à des monochromes blancs ou dorés, (évocation issues évidement des fond dorés du quatroccento et plus encore de la période bizantine où il y avait déja vocation d'évoquer la transcendance.) Mais ça on n'en parle pas, et Klein à eu en France beaucoup plus de succès que Rauschenberg(...)

Matthieu Guével a dit…

intéressant rapprochement des fonds d'or de la tradition byzantine et des monochromes...