dimanche, janvier 21, 2007

L'esthétique des ruines, le pittoresque et l'âge d'or


Un livre fondamental sur l'esthétique des ruines, leur méditation et surtout le rôle qu'elles jouent dans l'imaginaire social.


John B. Jackson s'interroge sur une évolution dans la conception et l'approche américaine des monuments historiques à partir de la fin du XIXè siècle. Une évolution qui touche leur forme, le choix de leur sujet, et le type de commémoration dont ils furent le support.

La vision traditionnelle du monument historique voit dans celui-ci une occasion de rappeler aux membres d'une communauté la nature de leurs obligations : le monument est la forme visible d'un contrat, d'un pacte originel ou de principes fondateurs que la communauté s'engage à respecter.

Selon cette conception, la fonction du monument est d'être un guide pour le futur : il fixe les règles de vie du groupe, et promeut une vision continuiste de l'histoire. Le présent et le passé sont liés par un pacte, une fidélité à une résolution originelle (suite à une bataille, la fondation d'une ville, charte d'un parti, déclaration d'indépendant, constitution...) que l'on s'est engagé à faire revivre par des commémorations.

A la fin du XIXè siècle, au contraire, de nouveaux monuments sont apparus, qui mettaient en avant non plus de grandes figures politiques ou morales, mais des anonymes : soldat anonyme, postier anonyme, cow-boy anonyme. On en est venu à considérer comme monument des champs de bataille, des boutiques anciennes, et même des chaises où s'étaient assis les grands de ce monde.

Comme le souligne John B. Jackson, "ces monuments ne nous remettent en mémoire aucune obligation ni ne nous commandent aucune ligne de conduite (...) Ces monuments célèbrent une autre espèce de passé, pas celui que décrivent les livres d'histoire, mais un passé vernaculaire, une espèce d'âge d'or sans noms ni date, un simple sens de la façon dont les choses étaient autrefois, l'histoire comme chronique du quotidien." ( p 146-147) D'où la prolifération, et la conservation dans la moindre bourgade des USA - mais l'analyse vaut à plus grande échelle - de vieux parc à bestiaux abandonnés, de vieilles boutiques et des vieux métiers pittoresques d'autrefois, témoignant d'un passé révolu et enchanteur.

Contrairement aux premiers, ces nouveaux monuments offrent une vision discontinuiste de l'histoire, ce sont des balises le long d'un récit dramatique : il y eût un âge d'or, puis une période de déclin, puis l'âge du renouveau. Ces ruines sont nécessaires pour nous rappeler à l'exigence de la conservation et au plaisir de retrouver la beauté des origines. Ici, il n'y a pas de leçon à apprendre, pas de contrat à honorer : "L'histoire cesse d'exister" (p 158).

Il faudrait sans doute préciser dans le détail les diverses familles de monuments (arc, colonnes, statues), voir si les monuments anciens comportent toujours cette dimension de pacte ou de contrat. Il faudrait voir aussi l'évolution du genre du monument lui-même car la fonction qu'il occupait a pu glisser vers d'autres supports. Le pittoresque fétichiste du journal de 13h de TF1 en est un indice. La commémoration y devient quotidienne, massive, jusqu'à brouiller la lecture de l'actualité du temps présent. Et il faut croire en effet que lorsque l'histoire cesse d'exister, l'actualité disparaît aussi.

John B. Jackson, De la nécessité des ruines et autres sujets, Editions du Linteau, 2005 (très belle maison d'édition dont il a déjà été question ici).

3 commentaires:

pop corn a dit…

Etrange, on m'a conseillé hier de le lire, je l'ai cherché à Gibert aujourd'hui en vain. Merci pour l'aperçu,

Matthieu Guével a dit…

mais de rien.

Anonyme a dit…

tres interessant, merci