mardi, mai 23, 2006

Herméneutique et sociologie

Un petit Que Sais-je ? très bien foutu sur l'herméneutique, par Jean Grondin. L'art d'intrépréter les textes est d'abord décrit comme l'inverse de la rhétorique, ce qui a le mérite de la clarté : la rhétorique est la discipline qui aide à passer de la pensée au discours, l'herméneutique est une discipline qui aide à passer du discours à la pensée.
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Partie de l'étude des discours et des textes sacrés, l'herméneutique s'applique à d'autres domaines, et notamment les sciences humaines. L'herméneutique est ce qui permet de régler ce problème épineux : comment atteindre la vérité dans les sciences qui ont affaire à de l'interprétation, donc potentiellement gangrénées par le subjectivisme ? Pour cela, Dilthey établit une distinction féconde entre expliquer et comprendre.
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Elle va même au delà, en devenant herméneutique de l'existence (Heidegger) : ce n'est pas seulement lorsqu'il a affaire à des textes que l'homme est en situation d'interpréter, mais dans la vie de tous les jours. Et Martin découvre que l'homme est toujours mû par une pré-compréhension, une anticipation qui rend caduque toute prétention à l'objectivité. Il faut simplement que cette pré-compréhension soit authentique. Et c'est peut-être cette recherche de l'authenticité qui va poser pb.
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En tout cas, cette idée que la compréhension est toujours précédée d'une précompréhension, que la vérité est participative, Gadamer la reprend, après Bultmann. Sur cette base, il refuse de subordonner les sciences humaines à l'idée de méthode ou au modèle de vérité en vigueur dans les sciences "dures", où l'observateur s'efforce d'épurer au maximum son rapport à l'objet.

Au contraire, Gadamer s'efforce d'identifier d'autres modes de vérité, qui pourraient s'appliquer pour les sciences humaines. Comme l'art par exemple, ou l'histoire. Inutile de chercher à placer l'histoire comme un objet posé devant nous, à distance méthodique : nous sommes toujours pétris de préjugés, d'une pré-compréhension dont il serait illusoire de prétendre se défaire. La lutte effrénée contre les préjugées est elle même habitée d'un préjugé anti-préjugé ! Comprendre le passé, ne n'est pas le tenir à distance (tâche impossible), mais plutôt le "prendre avec soi", le traduire et l'appliquer au présent. Peut-on vraiment comprendre sans faire partie de la compréhension, sans que le présent ne soit impliqué ? (p 60). Pour autant, ce n'est pas une réduction sujective : quand je traduis une oeuvre de l'anglais au français, c'est bien cette oeuvre que je traduis.
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De là naissent une infinité de problèmes : si comprendre le passé c'est lui donner un sens pour le présent, ce que j'ai compris est-il toujours le passé ? Comme dira Derrida : est-ce que je comprends l'autre lorsque c'est moi qui le comprends ? Voir aussi Lévinas, qui se heurte au dilemne de l'altérité authentique : soit j'ai face à moi un autre vraiment "autre", et alors la relation dégénère dans la violence et l'incompréhension. Soit je comprends l'autre et j'ai des rapports pacifiques avec lui, mais alors c'est autrui qui se dévalue en alter ego, un autre moi même, dont l'altérité n'est plus authentique (sur ce problème, voir R. Lellouche, difficile Lévinas, Ed. de l'éclat)
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Quoiqu'il en soit, à ce stade, on se dit que le besoin d'herméneutique s'est rarement fait sentir autant qu'aujourd'hui. Cf la prétention parfois hégémonique de la sociologie à expliquer le comportement des individus, et les violences par un déterminisme social mécanique (cf de nombreux articles parus après les violences de 2005). La distinction essentielle de l'expliquer et du comprendre, remise au goût du jour, permettrait d'éviter bien des malentendus et des désillusions sur ces sujets. Il est vrai que la logique instrumentale de l'action politique, qui exige cause et remède, et substitue un déficit de projets d'avenir par un surcroît d'explication du présent ne plaide pas en ce sens.

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